Agenda numérique européen Europe sociale Services et marchés numériques (DSA DMA) L’agenda numérique européen est-il centré sur les personnes, sur les données, ou sur les deux ? Aida Ponce Del Castillo Aida Ponce Del Castillo Publié le 21/10/25 Sommaire L’agenda numérique européen Les initiatives issues de la société civile contribuent-elles à une Europe plus ou moins sociale ? Conclusion L'auteur Aida Ponce Del Castillo est Senior Researcher, European Trade Union Institute (ETUI). L’institut syndical européen est le centre indépendant de recherche et de formation de la Confédération européenne des syndicats (CES). Fermer L'auteur Aida Ponce Del Castillo est Senior Researcher, European Trade Union Institute (ETUI). L’institut syndical européen est le centre indépendant de recherche et de formation de la Confédération européenne des syndicats (CES). L’agenda numérique européen Le « paquet digital » et la stratégie de la Commission européenne (2020-2025)[1] reposent sur trois objectifs et une série d’initiatives que l’on peut répertorier pour les années 2020 et 2021 : 1. Une technologie au service des personnes (2020) Le livre blanc sur l'IA, les stratégies européennes sur les technologies quantiques et la blockchain, les plans d'action sur la 5G et la 6G, le plan d’action sur l’éducation numérique, l’agenda des compétences, la « Garantie pour la Jeunesse ». (2021) La stratégie d'interopérabilité des gouvernements de l'UE, l’initiative visant à améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes, le paquet de l’IA (comprenant l'IA Act et la nouvelle réglementation sur les machines). 2. Une économie juste et compétitive (2020) La stratégie européenne sur les données, le Data Governance Act, le Digital Services Act et le paquet des règles antérieures, le paquet sur la stratégie industrielle, la communication sur la fiscalité des entreprises pour le 21è siècle, le nouvel agenda du consommateur. 3. Une société ouverte, démocratique et durable (2020) Les règles nouvelles et révisées pour approfondir le marché intérieur des services numériques, la révision du règlement elDAS, le plan d’action pour les médias et l’audiovisuel, le plan d’action « Démocratie européenne », la promotion des dossiers de santé électroniques basés sur un format européen commun. (2021) L’initiative « Destination Terre » (Destination Earth). Il convient de rajouter la dimension internationale de l’Europe en tant qu’acteur mondial avec également un ensemble d’initiatives : (2020) La stratégie de normalisation, le livre blanc sur un instrument consacré aux subventions étrangères, le Digital for Development Hub (D4D), la cartographie des opportunités et le plan d'action pour promouvoir l'approche européenne dans les relations bilatérales et les forums multilatéraux. (2021) La stratégie de coopération numérique mondiale. La société civile est représentée par 11 organisations dont les partenaires sociaux européens : Accesnow, European Citizen Action Service, European women’s lobby, Article 19, EDRi, CSEE ETUCE, BEUC (The European consumer organisation), European Federation of Journalists, Business Europe, ETUC (European Trade Union Confederation), Solidar. [1] « Façonner l’avenir numérique de l’Europe » - Communication de la Commission européenne du 9 février 2020 Les initiatives issues de la société civile contribuent-elles à une Europe plus ou moins sociale ? Les données et l’IA Le règlement général sur la protection des données est très intéressant. Il est peut-être même plus important que celui sur l’IA, car il traite de l’utilisation et du partage des données détenues par des organismes du secteur public. Ce sujet est une source d’inquiétude, car nous ne pouvons pas contrôler comment ces données sont générées et comment elles sont exploitées. Des critiques ont également été émises vis-à-vis de la Commission sur la gouvernance des données, car le projet de règlement (Data Governance Act) traite la question d’un point de vue économique et ne tient pas compte des objectifs de la société civile. Accesnow, par exemple, avance que l’on devrait supprimer les données personnelles du projet. Des obstacles économiques, juridiques et techniques concernent le partage des données, l’industrie prônant d’ailleurs plutôt le partage des données. Un autre projet de règlement a engendré de nombreuses polémiques, l’IA Act vise à réguler l’utilisation des systèmes d’IA mais ne s’applique qu’aux utilisateurs et aux fournisseurs de ces systèmes. Pour les organisations civiles, il faudrait vraiment interdire la surveillance biométrique des masses et inclure une démarche concernant les droits humains. Solidar, par exemple, avance que l’approche actuelle exacerbe la discrimination existante et la violation des droits humains. Ces questions ne devraient pas être gérées par les fournisseurs, cette responsabilité devrait revenir à d’autres parties prenantes. La dimension du lieu de travail n’est pas non plus traitée dans le projet de règlement. Les services digitaux et les plateformes Le projet de règlement sur les services numériques (Digital Services Act), en modernisant la directive de e-commerce, repose sur l’idée principale que tout ce qui est considéré comme illégal hors-ligne doit être aussi considéré comme illégal en ligne. Cependant, il n’existe pas d’approche concernant les droits humains. En analysant elles-mêmes le contenu, les plateformes ont tendance à décider de ce qui est licite ou non. Il est difficile d’évaluer de la même façon ce qui relève d’un contenu illicite, toxique ou nuisible en France et en Pologne par exemple, car le curseur n’est pas le même selon les différentes cultures. Le règlement doit responsabiliser les usagers en matière de droits humains hors ligne et en ligne et gérer les conséquences toxiques des business model des plateformes. Une des organisations civiles indique que ces dernières ne devraient même pas décider de la légalité des contenus. Il faut également protéger la liberté d’expression chaque fois qu’un post est publié sur les médias sociaux. Le projet de règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act) concerne essentiellement les GAFAM. Ces grandes entreprises mettent en place les normes qui permettent aux autres petites plateformes d’accéder au digital. La réglementation est très spécifique : plus une plateforme est grande, plus elle doit se conformer à un nombre important de règles. La critique concernant ce règlement porte essentiellement sur le fait qu’il ne traite que de concurrence et tend à ignorer l’impact négatif sur les droits des utilisateurs en interaction avec la plateforme. L’article 19 précise également qu’il n’y a pas de garantie d’interopérabilité avec la conséquence de « bloquer » les utilisateurs dans un seul service, ce qui est un des problèmes majeurs rencontrés avec ces grandes plateformes. La proposition, de nouvelle directive concernant l’amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes est issue d’une demande des partenaires sociaux. Il s’agit d’améliorer les conditions de travail des livreurs, mais aussi d’autres types de métiers, comme les services à la personne, par exemple. Les organisations syndicales soutiennent que cette règlementation, en optant pour une présomption légale de salariat, devrait permettre d’éviter la création de « faux travailleurs indépendants » ou d’un tiers statut entre le travailleur indépendant et le salarié. Elles alertent également sur la nécessité de mettre en place une meilleure réglementation de la gestion algorithmique des ressources humaines (contrôle, surveillance, décisions RH comme les licenciements…). Il convient enfin de souligner l’accord-cadre autonome sur la digitalisation, signé en juin 2020 par Business Europe et les syndicats européens avec ses 4 chapitres portant sur les compétences, les modalités de connexion et de déconnexion, l’intelligence artificielle, la surveillance et la dignité humaine. L’éducation et les compétences Sur deux projets distincts, le plan d’action de l’éducation digitale, l’agenda des compétences européennes, l’ensemble des parties prenantes ont décidé de s’impliquer dans ces initiatives pour s’assurer que chacun puisse acquérir des compétences digitales et combler la fracture numérique. Il ne faut pas uniquement former les personnes les plus expertes, mais aussi les plus vulnérables. Les partenaires sociaux ne sont en revanche jamais mentionnés dans ces deux projets, alors que ces compétences doivent être bénéfiques aux travailleurs comme aux employeurs. La démocratie La Commission a compris l’importance de favoriser la mise en place d’un monde démocratique en ligne après l’exemple des agissements de Cambridge Analytica, avec un point très important : garantir la liberté, la sécurité et le pluralisme des informations qui circulent en ligne. Se pose également la question de la transparence en matière de publicité politique, et la menace sur la crédibilité de nos processus électoraux à travers les cyberattaques, les fake news, la surveillance algorithmique comportementale, la violence en ligne contre les femmes et les jeunes filles. L’état des lieux que nous avons réalisé inclut aussi les « hacktivistes » et les activistes numériques. Il s’agit d’une sous-culture qui existe depuis longtemps, dont les acteurs maîtrisent la technologie, comprennent les risques et formulent des inquiétudes sur l’impact de l’utilisation de la technologie sur les personnes et la société. Ces acteurs parviennent à influencer la réglementation (cf. le mouvement « Reclaim your face »). Ils participent activement au débat et à la compréhension sociale des enjeux numériques. Ils ont la capacité d’organiser des actions collectives et présentent une nouvelle opportunité pour la représentation sociale. Conclusion L’agenda numérique n’a pas été conçu pour répondre aux problèmes du marché du travail, en matière de protection des travailleurs. On constate un manque d’interconnexion entre les différentes initiatives législatives, un manque d’échange entre les stratégies numérique et sociale. La directive sur l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme est très difficile à négocier. Enfin, les acteurs sociaux sont très diversifiés, et les nouveaux mouvements d’hacktivistes influencent fortement le débat. Quatre défis majeurs restent à relever : l’accès au numérique, les algorithmes, le rôle des plateformes numériques du point de vue des employeurs et le pouvoir de tous les intervenants sociaux. L’influence des lobbys constitue également un des grands défis à prendre en compte. Cette influence est énorme, nous avons pu le voir avec Google, Amazon et les autres qui font du lobbying directement auprès des hauts représentants de la Commission européenne de façon très assidue. Nous savons que l’industrie et la société civile ont leurs propres lobbys. Nous en avons l’habitude au niveau européen, mais nous sommes entrés dans une ère caractérisée par l’importance des Gafam dont les lobbys se situent à un autre niveau : ils savent exactement ce dont ils parlent et nous ne pouvons pas regarder en profondeur ce qu’ils font, contrairement par exemple, à la composition d’une cigarette ou d’un produit chimique. On ne peut pas ouvrir un algorithme et le décortiquer. Cette immatérialité des algorithmes et de l’accès aux données rend la situation très difficile et très différente des autres réglementations que nous avons pu négocier. Nous ne pouvons pas voir et analyser ce dont nous parlons. Ce monde n’a pas de barrière et s’infiltre partout avec nos données, que l’on produit sans fin, ce qui est particulièrement profitable aux plateformes. Pour éviter plus de fragmentation et de polarisation, la Commission européenne devrait laisser plus d’espace à l’anticipation des problèmes sociaux, l’inclusion de perspectives plus larges qu’elles ne le sont actuellement et la participation authentique des partenaires sociaux comme ingrédient clé d’une gouvernance sociale suffisamment étendue. Partie précédente Article suivant Partie précédente L’approche de la Commission européenne sur l’intelligence artificielle et son impact sur le monde du travail Article suivant La protection des données personnelles en situation de travail Ceci pourrait vous intéresser L’état des lieux de l’usage de l’IA en GRH au Québec L’usage de l’intelligence artificielle en RH au Québec croît rapidement, et la démocratisation de nouveaux outils comme ChatGPT pourrait réduire les écarts entre petites et grandes entreprises. Québec Le ciblage des interventions sur les risques humains et l’automatisation des tâches simples ... Secteur bancaire Comment se caractérise la transformation du travail dans le contexte de l’industrie 4.0 ? ... Québec Tout découvrir