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Une brève histoire de l’information dans le monde bancaire à partir d’une expérience singulière

Publié le 21/10/25

L'auteur

Maurice Bourrigaud est Directeur Général de la Banque Populaire Grand Ouest, auditeur de la 37e session nationale.

L'auteur

Maurice Bourrigaud est Directeur Général de la Banque Populaire Grand Ouest, auditeur de la 37e session nationale.

Introduction

La France est bancarisée depuis les années 70. Moins d’espèces, plus de virements, près de 100% des Français ont un compte en banque. C’est à cette époque que les salaires ont été domiciliés sur les comptes, les retraites, jusqu’alors trimestrielles sont devenues mensuelles. La France est un des pays les plus bancarisés au monde. Ce qui signifie que les banques gèrent des millions de clients et que les interactions quotidiennes sont assez spectaculaires. A titre d’exemple, chaque jour, 700 000 opérations en moyenne sont réalisées avec 250 000 interactions à la Banque Populaire Grand Ouest (350 000 sociétaires, 900 000 clients, 3 000 salariés). On note alors un nécessaire traitement de masse des informations quotidiennes : versements, retraits espèces, virements, souscription de contrats simples de produits d’épargne. 

Le secteur bancaire a pour mission de faire circuler la monnaie de manière sécurisée (recueillir les dépôts, les prêter). Les banques, qui sont des sociétés anonymes, doivent inspirer la confiance vis-à-vis de leurs clients. Elles doivent s’organiser pour que les crédits qui sont consentis soient remboursés (rendre l’épargne aux épargnants, concourir à préserver la valeur de la monnaie). 

Toutes les banques gèrent beaucoup de produits et de services qui ne sont pas demandés par les clients. Ces derniers demandent traditionnellement des comptes, des assurances diverses, des crédits parfois mais pour le reste ce ne sont pas des besoins qui sont sollicités. On ne fait pas la queue pour ouvrir un PEA, un PEL ou une garantie accidents de la vie. S’il n’y a pas présentation, il n’y a pas d’achat. D’où l’intérêt de l’intelligence artificielle. 

Il est également utile de rappeler quelques fondamentaux : 

Une banque doit être :

  • solvable (fonds propres très élevés, proportionnés aux risques) ;
  • liquide (crédible pour recevoir des capitaux à gérer et à prêter). On ne prête que des liquidités existantes, la création monétaire est maîtrisée ;
  • rentable pour assurer et assumer seules, sans aides publiques, les défaillances (naturelles) de ses clients, son développement, sa présence, ses investissements
  • crédible en termes d’image et de notoriété :  être sûre, en confiance.

Par conséquent, aucune banque ne peut être passive quel que soit le marché (particuliers, professionnels, entreprises, associations, collectivités, etc.). Il n’est pas possible d’attendre que les clients viennent, on doit aller au-devant des attentes et des besoins pour offrir des services, les faire connaître et souscrire l’intérêt des clients avec plus de 200 produits et services disponibles. Cette complexité, cette masse doit nous faire interagir avec les salariés d’abord, puis avec les clients.

Quel traitement des données dans les années 80 et suivantes ?

Au début des années 80, on observe les profils des souscripteurs de tel ou tel contrat (âge, profession, situation de famille, crédit à la consommation, épargne financière, etc.) et on écrit aux « semblables », on les appelle. Les terminaux sont passifs alors qu’ils gèrent des centaines de milliers de clients. Il existe alors une dizaine de process : on se mettait devant un clavier (pas d’écran) et on saisissait les données à l’aide d’un curseur qui bougeait sur l’écran. Très tôt, le besoin d’informatiser apparaît pour gérer une masse importante de données. A la fin des années 80, les bases de données sont coûteuses à gérer, il y a peu d’espace disque. La banque fait du géomarketing de manière empirique et la CNIL n’est pas encore très présente. 

Fin des années 90 et début 2000, la situation évolue. On commence à croiser des données (flux virements et dépenses, évènements produits, événements clients) pour être de plus en plus précis car à l’époque le marketing direct est très coûteux (du papier, des timbres, des envois, de la manipulation). Il n’y a cependant pas de profondeur d’historique, un peu de géomarketing dans des quartiers, prénoms (!), des expérimentations de géolocalisation avec votre téléphone, mais rien de très novateur. La taille des centres d’appels commence à croître. 

Tout cela reste très basique, mais l’objectif demeure : comprendre le profil des souscripteurs de produits et donner du sens à la donnée. 

Au cours des années 2000, dans un groupe comme BPCE (100 000 personnes dans le monde) la data et l’IA font travailler environ 5000 personnes. De nouveaux métiers apparaissent : data manager, product owner, data owner, data scientist. Tous n’ont aucun problème à travailler sur la taille des fichiers.  Ils ont désormais à disposition des moteurs de calcul puissants : « des algorithmes qui permettent de créer et d’évaluer les modèles combinant de nombreux signaux faibles ». Trois domaines sont particulièrement concernés.

Le domaine du développement commercial

L’enjeu est d’exploiter les données de connaissances clients : données internes, transactionnelles (de paiement), comportementales, digitales ; données externes qui permettent de compléter la connaissance clients (ex : le fichier des cartes grises renseigne sur le comportement client notamment en cas de remplacement d’un véhicule) ; scores, ciblages afin d’accroître la satisfaction client (taux de souscription des contrats) en maîtrisant la productivité ; personnalisation de la relation : offrir  le bon conseil, au bon moment via le canal le plus adapté, avec la mobilité et l’accessibilité maximale.

De nombreux cas d’usage sont en cours de mûrissement par les professionnels pour estimer et anticiper la probabilité de satisfaction ou d’insatisfaction car peu de clients répondent aux enquêtes de satisfaction.

Un modèle relationnel sur-mesure et prédictif des besoins voit le jour : naissance, entrée dans la vie active, déménagement, changement de voiture, investissement immobilier, retraite, etc. 

La banque a un réel enjeu à capitaliser et à exploiter les données dont elle dispose pour aboutir à une connaissance plus fine du client. Les données civiles sont bien entendu connues mais pour améliorer cette connaissance, les banques analysent et exploitent les données comportementales. Par exemple, une diminution des achats en matière de loisirs est un signal annonçant des difficultés économiques. Les commerciaux du secteur bancaire ont accès à des informations très ciblées sur leur portefeuille de clients.

On cherche à accompagner le client le plus rapidement possible, ce qui relève purement du marketing, mais on peut également mieux l’accompagner sur la protection et la prévoyance si on est dans l’anticipation.

Le domaine de l’efficacité opérationnelle

Il s’agit principalement de reconnaissance automatique des documents avec incrémentation automatique des informations. La sécurisation les données permet de les comparer (adresses, dates de naissance). 

Le développement de la lecture automatique des documents et la comparaison des données déjà exploitées, augmente également la sécurité en matière de fraudes. Avec la masse d’informations traitées, on peut détecter des signaux faibles et arrêter plus rapidement les fraudes. Le cumul de petits signaux faibles correspond à une alerte et devient un signal fort.

A titre d’exemple, la Banque Populaire a traité automatiquement en 2021 plus de 2,5 millions de documents. Du simple point de vue calculatoire et non pas organisationnel, le gain de temps, réparti sur près de 20 000 salariés, équivaut à 250 ETP. 

En résumé, avec le traitement de toutes ces données, les banques améliorent la lutte contre les fraudes ; elles guident mieux le travail d’un commercial qui ne peut pas absorber 200 informations chaque jour pour 200 clients. 

Le domaine de la surveillance continue

Dans ce troisième domaine, le traitement des données passe par l’exploitation de données externes : documents des médias : presse, réseaux sociaux. Mots clefs positifs / négatifs, neutres… ce qui permet d’avoir de l’information grise ; l’usage des Bots informatiques (agent logiciel qui interagit), source de gains de temps et d’efficacité pour les collaborateurs ; le traitement automatique du langage naturel (NLP), génération de textes, technologie de graphes pour identifier des liens entre contreparties…  ; la restitution d’analyses (deals M&A, contrats commerciaux, risques sectoriels…).

Le défi de la connaissance des projets des clients est le cœur du sujet mais également la confiance et l’éthique. Aucune concession à l’honneur ni à la rigueur ne se justifie dans un contexte où tous les risques s’accroissent significativement, en termes opérationnel (attaques des SI et des comptes, financiers avec la gestion des actifs et des passifs) ou de contrepartie (défaillances).

Il n’y a aucun doute sur le fait que la donnée appartient au client qui est également un consommateur et un citoyen. Il est capital d’obtenir un consentement éclairé et réversible. Plusieurs questions se posent : 

  • Quel accès, quelle transparence (pédagogie, explicabilité des moteurs de calculs qui tournent très vite), quelle pertinence des algorithmes ?
  • Comment les algorithmes sont-ils auditables et non discriminants ?

Dans un métier de services, tout est basé sur le comportement. L’IA apporte une efficience quantitative majeure parce que la pression sur les coûts est telle que l’on doit être de plus en plus efficient. Le chief data officer doit garantir à la fois le traitement éthique des données et animer des personnes qui vont travailler en ce sens sur ces données internes et externes. Au regard du positionnement éthique des banques, la CNIL joue un rôle clé avec des interactions permanentes avec cette autorité. Il n’y a pas « d’entreprise éthique » mais seulement des personnes qui ont plus ou moins d’éthique. En matière de décision à une demande de crédit, l’IA vient en aide, mais chez BPSO la décision de refus de crédit est prise par l’humain. Sur une demande de crédit à la consommation par exemple, pas un seul courrier ne part depuis la banque sans une lecture humaine. 

Enfin, l’IA n’est pas encore suffisamment évoquée dans le dialogue social. Beaucoup de salariés ne savent pas comment fonctionne l’IA dans leur établissement et une démarche de clarification est nécessaire vis-à-vis des salariés. Des communautés libres ont été créées et sont accessibles aux représentants du personnel.

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