Management algorithmique Fonction RH GRH Le management algorithmique des ressources humaines : de quoi parle-t-on ? Rémi Bourguignon Rémi Bourguignon Publié le 21/10/25 Sommaire L’automatisation des processus RH : est-ce vraiment nouveau ? Entre risque et opportunité : le narratif autour du digital pour la fonction RH L'auteur Rémi Bourguignon est Professeur des Universités en sciences de gestion à l’IAE Gustave Eiffel (Université Paris-Est Créteil), membre de l’Institut de Recherche en Gestion, membre du conseil scientifique de la 37e session nationale de l’INTEFP. Fermer L'auteur Rémi Bourguignon est Professeur des Universités en sciences de gestion à l’IAE Gustave Eiffel (Université Paris-Est Créteil), membre de l’Institut de Recherche en Gestion, membre du conseil scientifique de la 37e session nationale de l’INTEFP. S’il existe un champ d’application particulier des algorithmes et des data qui est celui de la gestion des ressources humaines, II convient de distinguer deux sujets. D’une part, le digital de manière générale, l’IA en particulier, va bouleverser le monde du travail, les activités productives, avec tout un tas d’incidences en matière de gestion des ressources humaines. C’est le cas par exemple du work force planning qui doit permettre d’ajuster l’emploi aux réalités des besoins de l’organisation. D’autre part, l’adoption par la fonction RH elle-même d’outils digitaux va toucher aux pratiques de recrutement, de mobilité interne, aux plans de formation mais également à tous les processus administratifs qui y sont associés. Dans ce domaine, on constate une grande diversité d’usages, allant de la dématérialisation qui est une forme de digitalisation jusqu’à l’utilisation d’algorithmes visant des recommandations, et parfois l’utilisation d’IA avec des d’algorithmes qui peuvent apprendre et acquérir une certaine autonomie. L’automatisation des processus RH : est-ce vraiment nouveau ? Ces usages du digital rejoignent une question très classique en matière de GRH et assez ancienne. On connaît tous dans les entreprises la manière de qualifier les gestionnaires RH de « HR BP » ou HR partners business. Cette expression, développée dans les années 90 repose sur l’idée que différentes activités permettaient de qualifier la gestion des ressources humaines. Certaines activités sont d’une portée relativement stratégique, avec une forte valeur ajoutée et, à l’autre bout du spectre figurent des pratiques RH à moindre valeur ajoutée, avec une dimension beaucoup plus administrative, mais indispensable naturellement au bon fonctionnement des organisations. On va alors plutôt chercher à rationnaliser ces activités à faible valeur ajoutée de manière à déployer les moyens sur des aspects stratégiques. L’idée de l’automatisation n’est donc pas nouvelle. En revanche ce qui est nouveau, c’est l’idée de l’appliquer désormais aux activités qui sont à forte valeur ajoutée : la gestion des talents, la planification RH. Cela bouscule les services RH et les régulations en place. Entre risque et opportunité : le narratif autour du digital pour la fonction RH Ce qui est souvent mis en avant, c’est donc l’opportunité pour la GRH de jouer un véritable rôle stratégique dans les organisations, de nourrir les décisions importantes, ce qu’elle ambitionne depuis longtemps. S’il s’agit de gagner du temps sur les tâches considérées à plus faible ajoutée pour les réallouer à des tâches plus stratégiques, cette réallocation ne se fait pas mécaniquement. On peut gagner du temps de travail, et consacrer moins d’heures de travail que l’on peut alors réallouer. Il est d’ailleurs assez fréquent que l’on demande aux fonctions supports, en particulier la fonction RH, de fournir des efforts pour améliorer la compétitivité des entreprises. Dit autrement, on rationnalise la fonction RH, avec des gains de productivité. Mais, cette réallocation suppose une vraie politique d’accompagnement des gestionnaires RH dans l’évolution des métiers et des compétences. Pour justifier que la gestion des ressources humaines se saisisse des questions digitales, trois grands registres d’argumentation sont repris régulièrement : Premier registre, on va faire de la gestion des ressources humaines mais on va le faire mieux. On va pouvoir grâce à des données plus riches avoir une meilleure connaissance du passé, mais aussi débarrassées de subjectivité humaine, par exemple, en matière de recrutement en corrigeant un certain nombre de biais. C’est le domaine de l’Analytique RH : produire des données avec une argumentation plus fine. Second registre, l’anticipation par exemple des accidents, des démissions. Une meilleure connaissance des processus qui conduisent à des accidents permet d’améliorer leur prévention. Le raisonnement est de même nature pour mieux comprendre les contextes organisationnels qui produisent des risques psycho sociaux. Enfin, le registre « quasi marchand ». Le salarié est considéré comme un client. Il s’agit d’améliorer l’expérience collaborateur, et de lui proposer plus de services, lui ouvrir des perspectives, des possibilités de carrière. Alors que les débats pointent souvent le risque de standardisation, l’enjeu est au contraire d’ouvrir les possibles et de proposer des opportunités en individualisant. Une expression propose de « rassembler » ces approches : on parle d’une GRH augmentée, qui serait plus dans l’anticipation, qui offrirait plus de services aux collaborateurs et maitriserait ces processus. Si ce narratif met l’accent sur les opportunités, il convient également d’identifier les risques qui peuvent être associés au recours aux outils digitaux. Le risque lié aux biais algorithmiques, notamment à l’occasion de prises de décision, conduirait à une GRH qui ne serait plus augmentée mais dégradée. Le risque lié à une forme de standardisation conduirait les politiques à ne plus être un levier de compétitivité. Les mêmes algorithmiques, alimentés par les mêmes données peuvent conduire les entreprises à prendre les mêmes décisions en matière de mobilités internes, de plans de formation, de gestion des talents. On pourrait alors observer une indifférenciation des politiques RH alors que les entreprises cherchent à se différencier les unes des autres. Le risque lié à une éventuelle marginalisation de la fonction RH dans les pratiques de gestion des ressources humaines. Celles-ci seraient assurer directement par des algorithmes et leurs concepteurs et échapperaient à la gestion des ressources humaines en tant que discipline et champ d’expertise. Les risques sociaux, liés à la protection de la vie privée des salariés. Pour que les algorithmiques fonctionnent, il faut les alimenter en données et notamment en données personnelles. Il existe donc un débat : jusqu’où peut-on aller et comment peut-on protéger la vie privée des salariés ? Sur la question des discriminations, il est évident que les algorithmiques peuvent reproduire celles qui existent déjà, les amplifier, en faire apparaitre de nouvelles- Enfin, il y a la question du contrôle et de la surveillance des salariés. On est aujourd’hui dans un contexte d’extrême incertitude face à ces outils : quelles sont les potentialités réelles de ces technologies ? quelles sont les données qui peuvent être utilisées ? quels sont les risques juridiques ? La pratique RH ressemble plus à du mimétisme : on finit par ne pas savoir pourquoi il faut utiliser ces nouveaux outils, mais il y a l’idée que si on traîne à s’engager dans cette voie, on va prendre du retard. Par ailleurs, de nombreuses entreprises utilisent des solutions externes toutes faites. Peu d’entre elles développent leurs propres outils. Pour ces raisons, ces processus restent plutôt balbutiants en réalité, et au regard de ces différents risques, les questions restent ouvertes : que devient la fonction RH ? quelles sont les frontières entre l’expertise technique et le monde de la RH ? Une étude de terrain a permis d’identifier 3 grands profils des gestionnaires RH[1] . Le RH, agent administratif Il considère que le digital est l’affaire des experts techniques, à qui il leur délègue bien volontiers la conduite des processus. Il est plutôt dans une position réactive. L’algorithmique en tant que tel n’est pas son domaine, il se concentre sur la partie la plus administrative.et va se préoccuper de la manière de collecter les données, d’en assurer leur qualité. Le RH, acteur du changement Il considère qu’il a son mot à dire et qu’il faut gommer les frontières entre l’expertise technique, technologique et les ressources humaines. Il essaie d’ouvrir la boîte noire en entrant dans les équipes projet. Le RH, acteur critique Il vient jouer un rôle de vigie. Il est très en veille sur les différents risques (juridiques, sociaux) et alerte en particulier sur les règles éthiques. [1] « La gestion des ressources humaines à l’ère numérique : occasion stratégique ou risque de marginalisation ? », Marc-Antonin Hennebert et Rémi Bourguignon, in « L’intelligence artificielle et les mondes du travail – Perspectives sociojuridiques et enjeux éthiques » sous la direction de Jean Bernier, Presses de l’Université Laval, 2021 Partie précédente Article suivant Partie précédente Des données aux nouvelles données du travail Article suivant La gestion de la paie : un projet de transformation numérique Ceci pourrait vous intéresser L’utilisation de l’IA en gestion des ressources humaines au Québec Au Québec, l’IA s’intègre progressivement en ressources humaines, surtout dans le recrutement, la formation et l’évaluation, même si 60 % des organisations n’en font pas encore usage. Son développemen... Québec La planification de la succession ... Secteur bancaire Quel portrait dressez-vous de l’industrie aérospatiale au Québec ? ... Québec Tout découvrir