PARTIE 2

Les algorithmes sont-ils une opportunité pour la fonction RH ?

Au sein de nombreuses organisations privées et publiques, l’intelligence artificielle représente le socle de l’organisation du travail.

L’introduction des algorithmes capables d’analyser une quantité massive de données difficiles à appréhender pour l’être humain, d’enchaîner des tâches répétitives et chronophages permet aux professionnels des RH, à l’instar des managers et de leurs équipes, de se concentrer sur des activités plus intéressantes et stimulantes. Que recouvre aujourd’hui le management algorithmique des ressources humaines ? Quel est l’état des lieux de l’utilisation de l’IA dans ce domaine au Québec ? A travers l’exemple d’une grande entreprise et de la gendarmerie nationale, comment la fonction RH mobilise-t-elle des outils algorithmiques ? 

Parmi les acteurs parties prenantes du développement de ces nouveaux outils, figurent les offreurs de solutions. Deux exemples présentent des plateformes qui visent à optimiser les ressources des entreprises en intégrant l’IA dans leurs processus. Le premier porte sur la prévision, l’optimisation et l’allocation des ressources humaines au port de Montréal. Le second propose une offre de service qui permet aux PME québécoises de réaliser l’analyse et la validation des données comptables de l’entreprise.

Toutes les disciplines RH sont d’ores et déjà impactées par l’utilisation des algorithmes, en particulier le recrutement, la rémunération, la gestion prévisionnelle des compétences ou la personnalisation des parcours professionnels. L’enjeu de la maîtrise des big data va alors se jouer autour du développement de la confiance des collaborateurs vis-à-vis de la fonction RH, responsable du déploiement et de l’utilisation de ces solutions dotées d’IA. La gestion algorithmique des ressources humaines à la Banque Nationale du Canada et une étude de cas conduite dans une banque sur l’analyse des comportements des salariés et des enjeux organisationnels permettent d’illustrer cette question. 

Les conséquences des algorithmes dans les situations de travail comportent des opportunités mais également des écueils pour les travailleurs et les organisations qu’il convient de questionner. C’est le cas lorsque l’algorithme remplace le gestionnaire/employeur dans ses fonctions de planification, d’organisation et de contrôle du travail des salariés, avec l’enjeu de la surveillance électronique des travailleurs. En matière de droit du travail, quelles premières analyses peut-on aujourd’hui mettre en évidence ? Comment assurer le contrôle humain de l’IA lors de l’intégration de solutions dans les processus RH ?

1. Le management algorithmique dans la gestion des ressources humaines : de quoi parle-t-on ?

L’adoption par la fonction RH d’outils digitaux est une question classique et assez ancienne pour qualifier la gestion des ressources humaines. L’automatisation permet de rationaliser des activités administratives, indispensables au bon fonctionnement des organisations, de manière à déployer des moyens sur des aspects stratégiques. Christine Arvieux illustre comment le groupe Carrefour a mis en œuvre un projet de transformation numérique de la gestion de la paie pour améliorer le pilotage des ressources humaines.

S’il s’agit de gagner du temps sur les tâches considérées à faible valeur ajoutée pour les réallouer à des tâches plus stratégiques, cette réallocation ne se fait pas pour autant mécaniquement. Elle suppose une vraie politique d’accompagnement des gestionnaires RH dans l’évolution des métiers et des compétences comme l’explique le Général Patrick Perrot à travers l’usage de l’IA dans la gendarmerie nationale. 

Pour Rémi Bourguignon ce qui est souvent mis en avant, c’est l’opportunité du digital au profit d’une « GRH augmentée ». Mais ce « narratif » renvoie également à la nécessité d’identifier les risques qui peuvent être associés aux outils digitaux, tel que le risque lié aux biais algorithmiques, avec pour conséquence une GRH qui ne serait plus augmentée mais dégradée.

Xavier Parent-Rocheleau dresse un panorama des principaux usages de l’IA en gestion des ressources humaines au Québec.

Selon lui, nous évoluons dans une époque de « technosolutionnisme » découlant de la marchandisation des données.  Certaines entreprises intègrent des outils d’IA sous couvert de promesses d’efficacité. Un sondage réalisé en 2022 du conseil de l’ordre des conseillers en ressources humaines du Québec indique toutefois que 60% des entreprises interrogées n’ont pas intégré ou ne comptent pas intégrer l’IA dans les processus RH.

L’intelligence artificielle peut-elle en définitive transformer la fonction ressources humaines ? Entre risques et avantages, Xavier Parent-Rocheleau souligne les potentialités ambivalentes de ces outils digitaux. 

Comment une grande entreprise recourt aux outils algorithmiques dans sa gestion des ressources humaines ? Didier Pignon évoque les différentes « briques technologiques » qui ont intégré le paysage RH chez Thales.

Parmi ces outils, figurent les applications Worday dont Didier Tricot décrit la mise en place au sein du groupe. 

2. Deux exemples d’offreurs de solutions

AIRudi est une société spécialisée dans le domaine de l’expertise high tech RH. Cette start-up propose depuis 2019 des solutions IA aux entreprises québécoises dans le but d’optimiser les processus en matière de recrutement, de gestion de la santé sécurité au travail et des relations sociales. 

L’entreprise utilise principalement la technologie du machine learning (apprentissage automatique). Elle travaille surtout avec des grandes entreprises, même si son objectif est de pouvoir s’adresser à moyen terme aux PME.

L’association des employeurs maritimes du port de Montréal assure la gestion de la main d’œuvre employée pour charger et décharger les navires. Les difficultés de prévision et de planification de l’activité sont source de tensions au plan social et les partenaires sociaux sont en cours de renégociation de la convention collective de l’entreprise.

La solution mise en place par AIRudi vise à optimiser l’allocation des ressources. Les effets attendus sont deux ordres : améliorer la fluidité et l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement et améliorer les relations entre l’employeur, le syndicat et les employés. 

Stamped technologies s’adresse aux PME et aux cabinets comptables agréés du Québec avec une offre de services qui permet de traiter au quotidien les informations comptables. Connectée au système comptable de l’entreprise et au système bancaire, la plateforme proposée peut procéder aux vérifications et aux validations des données comptables grâce à son système algorithmique. L’enjeu du point de vue du dirigeant, lui-même comptable professionnel agréé, est également d’agir face aux difficultés de recrutement des auditeurs au Québec et au devenir de cette profession.

3. Illustrations dans le secteur bancaire

La Banque Nationale du Canada est implantée pour l’essentiel au Québec avec au total près de 27 000 employés. Avec la digitalisation, la question s’est posée du potentiel analytique des « informations employés » afin d’augmenter les points de contact sur les parcours professionnels des employés.

En utilisant l’IA dans le domaine des ressources humaines, l’entreprise a poursuivi 3 objectifs : favoriser une expérience positive des employés en adaptant ses programmes et ses interventions aux besoins propres de sa main d’œuvre, améliorer les processus RH, notamment de recrutement, et agir de manière responsable en se dotant d’un cadre d’utilisation des données. 

Geneviève Barrette illustre de manière concrète l’utilisation de l’IA en présentant la « planification de la succession » mise en place annuellement pour remplacer des compétences spécifiques de l’entreprise. 

Elle explique également comment le ciblage des interventions et l’automatisation des tâches simples transforme le conseil RH au sein de la banque. 

Fabienne Perez présente les résultats d’une étude qu’elle a conduite dans une banque régionale en France portant sur l’analyse des comportements des salariés et le rôle de l’organisation lors de l’introduction d’outils d’IA, notamment une messagerie automatisée et des chatbots.

4. Algorithmes et ressources humaines : entre risques et opportunités

La « gestion algorithmique des salariés » se pose lorsque l’algorithme est utilisé, au-delà de la gestion RH, dans des fonctions de planification, d’organisation et de contrôle du travail. 

Des systèmes de monitorage de plus en plus sophistiqués sont par exemple mis en place dans les centres d’appels.

Pour Xavier Parent-Rocheleau, le marché des outils de surveillance à distance des travailleurs s’est accéléré depuis le virage du télétravail pris pendant la pandémie du COVID. Aujourd’hui, quels facteurs selon lui motivent les entreprises à recourir à la surveillance électronique des salariés ? L’IA facilite-t-elle la surveillance électronique des salariés ?  Entre risques et opportunités, quelles sont les conséquences de ces activités de surveillance et comment l’encadrer ? 

Pour prolonger ces questions, comment les juristes abordent-ils aujourd’hui l’intelligence artificielle ? Patrice Adam livre des premiers éléments d’analyse à travers le prisme de deux grandes catégories structurantes en droit du travail, la subordination et le pouvoir de l’employeur. Il ouvre également la question de la responsabilité et les réponses qui peuvent être apportées en termes d’outils juridiques.

En s’appuyant à la fois sur sa pratique d’accompagnement des entreprises et le concept d’IA de confiance, Abdé Essaidi décrit « deux cas d’usage ». Maîtriser et mitiger les risques liés aux algorithmes passe selon lui par la qualité de la conduite du changement et de l’analyse des besoins, l’internalisation des compétences et l’intégration des solutions dans une organisation qui est repensée par les acteurs en interne.

En repartant de l’usage de l’IA dans les centres d’appel et le travail du téléopérateur, l’humain et la machine sont-ils finalement deux registres que l’on peut concilier ? interroge pour sa part Yann Ferguson. 

Avec l’introduction de l’IA, le travailleur a-t-il le sentiment d’être augmenté ou bien est-ce l’organisation qui est augmentée ? et dans ce cas, comment faire pour que le déploiement des process ne se fasse pas au détriment des pratiques ?