Québec Secteur public Usage de l'IA Les compétences du futur et la transformation numérique des organisations publiques au Québec Steve Jacob Steve Jacob Publié le 21/10/25 Sommaire Des résultats surprenants Les compétences du futur : appréhender les compétences autrement L'auteur Professeur titulaire de la chaire de recherche sur l’administration publique à l’ère numérique de l’Université de Laval (Québec) et directeur du laboratoire de recherche sur la performance et l’évaluation de l’action publique (PerfEval), Steve Jacob codirige la fonction Politiques publiques de l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’intelligence artificielle et du numérique (OBVIA). Fermer L'auteur Professeur titulaire de la chaire de recherche sur l’administration publique à l’ère numérique de l’Université de Laval (Québec) et directeur du laboratoire de recherche sur la performance et l’évaluation de l’action publique (PerfEval), Steve Jacob codirige la fonction Politiques publiques de l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’intelligence artificielle et du numérique (OBVIA). Au Québec, un virage a été pris : il serait erroné de réduire la transformation numérique à sa seule dimension technique. L’accent est aussi mis sur la dimension humaine, sur les compétences. En outre, la transformation numérique et l’IA sont deux univers assez différents en matière de littérature scientifique dans lesquels on retrouve cette distinction. La transformation numérique induit une forme de compétition entre les organisations publiques et le secteur privé. Plusieurs défis se présentent aux organisations qui sont amenées à repenser la manière d’offrir les services, de repenser des processus et leur fonctionnement. Quand on conçoit dans les administrations la transformation numérique comme une réforme traditionnelle, et que l’on regarde ce qui s’est passé, on peut penser que tout ne va pas bien se dérouler dans le futur. Les attentes sont en général très élevées et les changements constatés sur le terrain ne sont pas à la hauteur de ces ambitions. On observe toutefois des répercussions considérables sur les ressources humaines, les ressources technologiques et informationnelles. L’ensemble du fonctionnement de ces ressources est affecté. Un rapport du « Nordic council of ministers » indique que les raisons pour lesquelles on a du mal à intégrer l’IA dans les municipalités sont dues à l’attitude et aux compétences des agents et des politiques qui freinent le développement de l’IA. En outre, on aborde généralement l’IA et la transformation numérique sous l’angle des compétences. Or, pour les organisations publiques comme pour les organisations privées, l’identification des compétences à 5 ou 10 ans s’apparente à la quête du Graal. Comment les métiers vont évoluer, comment vont-ils se transformer, quelles sont les compétences qui vont être requises ? Ces éléments sont difficiles à cerner. C’est la raison pour laquelle nous avons mené une recherche sous la forme d’une revue de littérature sur l’évolution des compétences, une enquête menée d’octobre 2021 à janvier 2022 sur les compétences transversales auprès 80 000 agents travaillant dans l’administration au Québec (6), et une enquête qualitative sur l’introduction de solutions d’IA dans le secteur public notamment avec l’études de cas de 3 organisations. Des résultats surprenants En tant que chercheur, quand on est face à des résultats surprenants, on est critique. Mais ce qui est rassurant, c’est que d’autres résultats surprenants existent ailleurs qu’au Québec, comme au Pays-Bas ou au Portugal. Cela peut signifier qu’une tendance se dessine sur l’évolution par rapport aux compétences dans la perspective de la TN. Sur l’ensemble des agents des administrations du Québec ayant été invités à participer au sondage, nous avons eu plus de 3300 répondants. La littérature scientifique indique que la transformation numérique va engendrer une profonde transformation des métiers y compris dans la fonction publique. Ce sentiment est partagé par les agents publics québécois. Ils mettent l’accent sur la question de l’imprévisibilité de la technologie, sur des impacts négatifs (perte d’emploi, déshumanisation, automatisation…). Certains recommandent de ne pas ouvrir la « boîte de Pandore « qui est en cours. En revanche, d’autres résultats sont à contre-courant. Quand on demande aux employés de l’administration comment va évoluer dans les 5 ans la qualité des conditions de travail en lien avec leur profession, l’impact n’est pas perçu de manière aussi significative. Ils n’envisagent pas de changement majeur sur leur propre emploi à moyen terme. Pour 40% des répondants, il n’y aura pas de changement par rapport à la qualité de leur emploi (contre 7% qui pensent que le changement sera important). Nous sommes ici en décalage face à ce que l’on retrouve dans la littérature en général. Peut-être est-ce davantage un indicateur de la perception de la progression de la transformation numérique dans le secteur public. Toutes les organisations n’ont pas lancé leur transformation numérique de la même manière, et dans certaines d’entre elles, on ne voit pas encore de changement à l’œuvre ni de répercussion significative. Un décalage existe aujourd’hui entre la réalité vécue dans les organisations publiques, les attentes de la population et la volonté des élus de réaliser rapidement la transformation numérique des organisations publiques. Ce décalage peut être regardé d’un point de vue positif : Il est sans doute nécessaire de s’assurer de la robustesse et de la sécurité des processus à l’œuvre et des changements mis en place en matière de confiance du public. Les compétences du futur : appréhender les compétences autrement Quand on demande aux agents publics dans quelle mesure leurs compétences seraient remplaçables par la technologie d’ici 5 ans, très peu d’entre eux pensent qu’il va y avoir un impact majeur sur leurs compétences et leur métier. 55% estiment que seulement de 0% à 25% de leurs activités peut être remplacé par une technologie (contre 4% qui estiment qu’une majorité de leurs compétences peuvent être remplacées). Interroger les compétences du futur liées à la transformation numérique est essentiel. Avec beaucoup de définitions proposées, le « bon » concept de compétence est difficile à retenir. Dans le secteur public, ce terme a été mis en évidence au Québec à partir des années 1950 en l’associant surtout à une dimension technique, en lien avec l’expertise que doit posséder l’agent public fonctionnaire pour accomplir sa tâche. Si l’on se réfère à la définition classique de la compétence, avec l’addition de trois ressources, le savoir (les connaissances nécessaires pour exercer son travail), le savoir-faire (les habiletés) et le savoir être (les attitudes), l’accent est mis sur sa dimension individuelle. Or, la compétence va aussi se mettre en œuvre en fonction de la culture organisationnelle dans laquelle elle va se déployer, de situations professionnelles concrètes dans lesquelles on est amené à agir, et de moyens mis à disposition par l’organisation. Ces moyens (matériel informatique, logiciels, bases de données) sont déterminants quand on parle de transformation numérique. Le premier message à faire passer sur les compétences du futur est donc de ne pas perdre de vue que la compétence ne relève pas uniquement de cette dimension individuelle, mais qu’elle comporte une dimension organisationnelle et une dimension contextuelle. Il ne faut pas non plus perdre de vue qu’il y a la question de la motivation qui entre en ligne de compte. La compétence est le résultat d’une rencontre entre l’individu et l’organisation. L’employé va apporter des ressources personnelles et l’organisation va mettre à disposition un certain nombre de moyens pour lui permettre d’atteindre les résultats attendus. Cette composante de la compétence, la motivation, est également un élément à prendre en considération au niveau de la résistance au changement, surtout en matière de transformation numérique. L’exemple de la cybersécurité est illustratif : on demande à l’ensemble des employés de modifier leur comportement. Or, pour ce faire, Il est important de trouver du sens à ce changement. Avec la transformation numérique, il convient par conséquent de décrire le travail et d’en définir ou redéfinir les exigences qui lui sont associées, de développer des nouveaux référentiels de compétences. Mais il faut prêter attention à situer la compétence dans son contexte organisationnel, en lien avec des situations de travail concrètes. Un autre point de vigilance porte sur le « curseur » que l’on attribue à la compétence. « Être compétent » ne relève pas uniquement d’un « savoir-faire », au sens : exécuter une opération prescrite qui relèverait d’une exigence seulement « technique ». C’est également « savoir-agir et interagir », gérer des situations complexes prendre des initiatives, faire face à des événements, coopérer dans le travail. On voit de manière générale que l’IA va prendre en charge des tâches « lourdes », répétitives et chronophages. Les activités qui requièrent des capacités de jugement, de la créativité et de l’interaction vont ainsi être réservées aux humains. Cette « division du travail » nous ramène au curseur entre les tâches routinières et les tâches complexes, les employés venant ainsi traiter les exceptions, les cas difficiles et résoudre les problèmes. Les compétences transversales ont vraiment gagné en popularité avec la transformation numérique. Il s’agit de compétences génériques, communes à de nombreux métiers, et mobilisables dans de nombreuses situations professionnelles. Dans le sondage réalisé auprès des agents du secteur public, les compétences transversales sont arrivées en tête des réponses : l’éthique (honnêteté, intégrité…) pour 96% des répondants, la capacité de faire face aux obstacles (81%), la gestion des émotions (75%), l’autonomie décisionnelle (70%), le leadership (61%). Quant aux écarts entre la maîtrise perçue d’un certain nombre de compétences et le besoin de s’améliorer, il apparaît que les compétences les mieux maîtrisées sont les compétences de base (collaboration, résolution de problème…). Les compétences les moins maîtrisées sont les compétences techniques (notamment dans les métiers de la gestion, de l’éducation et de la santé). Pour aller plus loin : télécharger la ressource PDF - 577.0 Ko Article précédent Article suivant Article précédent La place de l’IA dans les métiers d’Ubisoft Article suivant Interview Steve Jacob Ceci pourrait vous intéresser L’état des lieux de l’usage de l’IA en GRH au Québec L’usage de l’intelligence artificielle en RH au Québec croît rapidement, et la démocratisation de nouveaux outils comme ChatGPT pourrait réduire les écarts entre petites et grandes entreprises. Québec Le ciblage des interventions sur les risques humains et l’automatisation des tâches simples ... Secteur bancaire Comment se caractérise la transformation du travail dans le contexte de l’industrie 4.0 ? ... Québec Tout découvrir