Initiatives syndicales Management algorithmique Le travail en plateforme et l’algorithme : l’action de la CGIL (Italie) Silvia Simoncini Silvia Simoncini Publié le 21/10/25 Sommaire Les discriminations : la porte d’entrée pour saisir la justice Un tournant juridique Un « caporalato » digital Les défis de demain L'auteur Silvia Simoncini est Secrétaire nationale, CGIL. La Confédération générale italienne du travail est la principale confédération syndicale en Italie, suivie de la CISL et de l’UIL. Fermer L'auteur Silvia Simoncini est Secrétaire nationale, CGIL. La Confédération générale italienne du travail est la principale confédération syndicale en Italie, suivie de la CISL et de l’UIL. Nous avons commencé à nous interroger avec l’arrivée des premières plateformes de livraison de repas. Au début, nous avons été induits en erreur par une rhétorique qui nous expliquait qu’il s’agissait d’un travail secondaire, réalisé souvent par des jeunes étudiants, des hommes et femmes adultes sur leur temps libre. Ces plateformes se sont mises en place dans un vide réglementaire qui leur a permis de fonctionner avec une contractualisation massive des travailleurs. Nous évaluons le nombre de « riders » présents en Italie à 60 000 actuellement. Nous constatons des conditions de travail très précaires et extrêmement déséquilibrées du côté du travail indépendant de ces petits auto-entrepreneurs. Nous nous sommes informés auprès de ces travailleurs pour obtenir des éléments précis afin de comprendre quel était l’outil le plus approprié pour mettre un frein à ces pratiques et reconnaître les droits de ces travailleurs para-subordonnés et auto-organisés. Nous avons mené des campagnes de recherche pendant environ deux ans durant lesquelles nous sommes allés dans la rue pour entrer en contact avec ces travailleurs. C’est après cette phase d’échange que nous avons compris que le thème central était celui de l’algorithme. Cela nous a permis d’arriver à la conclusion qu’un algorithme et sa technologie utilisée dans le monde du travail ne peuvent en aucun cas être considérés comme neutre, ni dans l’action mise en œuvre, ni dans la programmation de l’IA réalisée par des humains. Les discriminations : la porte d’entrée pour saisir la justice Nous avons pu mener des actions en justice face à Deliveroo et son algorithme « Frank » en nous basant sur notre cadre juridique. Nous avons essayé de prouver que cet algorithme produisait des discriminations à l’égard des travailleurs. Dans notre système juridique en Italie, la discrimination est le seul droit transversal qui concerne tout travailleur, au-delà de la forme de contrat qui le lie à l’employeur. Elle peut donc être sanctionnée par un tribunal y compris pour un travailleur indépendant. Nous avons voulu dénoncer la discrimination dans le cas de la gestion algorithmique des absences de travail des travailleurs. Lorsque les plateformes attribuent des opportunités de travail, elles utilisent un mécanisme de « ranking réputationnel » basé sur la satisfaction du client et sur le nombre de cycles de travail accomplis par les riders. Ainsi, les travailleurs se voyaient descendre dans leur rang de classement en cas d’absences non justifiées qui n’avaient pas été communiquées au préalable à la plateforme, et notamment en cas d’absence pour grève. Cela engendrait de fait une discrimination, ce nouveau classement réduisant les possibilités de travail. Nous avons réussi à apporter la preuve devant le tribunal que ce mécanisme limitait la liberté de grève des riders. Un tournant juridique Cette action en justice a été rendue possible en réunissant chaque pièce d’un puzzle qui représentait un univers que nous ne connaissions pas à l’époque. La décision de justice nous a donné raison sur le point de la discrimination opérée par « Frank », l’algorithme de Deliveroo. Elle a constitué un tournant qui a permis de faire reconnaitre que la technologie n’est pas neutre, mais aussi qu’elle peut être sanctionnée et considérée comme un véritable employeur. Lorsque nous avons mené cette action en justice, nous avons essayé de comprendre si le schéma à la base de l’algorithme était de même nature dans toute l’Europe, et c’était bien le cas. Après la décision de justice, Deliveroo et d’autres plateformes ont modifié le modèle : l’attribution de cycles de travail sur la base du « ranking réputationnel » n’existe plus. Elles ont adopté un système dit de « free login », présent dans d’autres pays européens. En revanche, nous ne savons pas si le modèle précédent est encore présent dans les autres pays. Nous avons porté par la suite une série de revendications liées au travail, impliquant l’utilisation de modèles algorithmiques, qui ont d’importantes décisions judiciaires. Avec ces résultats, nous avons essayé de manière assez innovante de mettre en place une class action pour conduire à une extension massive des droits des travailleurs. Nous ressentons une forte résistance de la part des plateformes, y compris celles – comme Deliveroo – qui ont subi plusieurs revers juridiques dans notre pays. Elles sont encore très peu ouvertes au dialogue social. Un « caporalato » digital L’enquête menée par le procureur de la république de la ville de Milan a permis d’établir que l’attribution algorithmique des opportunités de travail, via les plateformes, sans qu’il n’y ait de relation stable de travail, avait généré ce que nous nommons un « caporalato digitale », une nouvelle forme de distribution illégale du travail. Ce phénomène est une autre clé de voûte de notre travail pour ouvrir une nouvelle phase de discussion avec les plateformes. Le « caporalato » désigne à l’origine une forme d’exploitation criminelle des travailleurs agricoles qui s’est répandu en Italie. Il s’agit d’une plaie historique que la CGIL tente de contrer de toutes les manières possibles. A la suite de cette enquête, nous avons signé une série de protocoles visant à lutter contre cette distribution illégale du travail qui a forcé les plateformes à instaurer un système de contrôle avec une attribution des opportunités de travail plus rigide de manière à aller à l’encontre du « caporalato ». Lorsqu’un algorithme dicte le rythme et le mode d’exécution du travail, nous pensons que les organisations syndicales doivent pouvoir accéder à toutes les informations utiles permettant de négocier le temps et les conditions de travail. La négociation consiste à fixer les conditions de travail auxquelles seront soumis les travailleurs et à transposer le résultat des discussions dans l’algorithme. Nous demandons la possibilité de surveiller son fonctionnement afin de nous assurer que les consignes de travail correspondent à ce qui a été décidé avec les parties concernées. Par conséquent, nous voulons pouvoir intervenir dans la définition de l’algorithme lui-même. Concernant la protection des données des travailleurs - à savoir les données sensibles que les plateformes enregistrent puisque les travailleurs sont toujours connectés - nous prévoyons des règles très contraignantes d’indisponibilité de ces données pour l’employeur. Nous nous sommes affrontés à cette thématique, et le meilleur outil que nous avons trouvé pour le faire est le contrat de travail. Les défis de demain Nous avons certes réussi à enrayer ce modèle digital, mais nous avons encore beaucoup de travail devant nous. Nous avons signé un accord avec Just Eat qui considère aujourd’hui le coursier comme un travailleur salarié. Nous avons réussi à négocier leur algorithme et l’organisation du travail. Nous sommes sur le point de signer un nouvel accord de travail avec une autre plateforme locale de livraison de repas pour lequel la négociation a porté également sur l’algorithme. Notre intention est d’éliminer toutes les formes de discriminations que l’algorithme génère automatiquement à l’égard des travailleurs. Nous souhaitons accompagner dans cette direction toutes les grandes plateformes de livraison de repas. La stratégie globale de la CGIL est de retrouver la maîtrise de la négociation dans l’organisation du travail, qui est l’élément central pour garantir véritablement les droits des travailleurs. Il est d’ailleurs nécessaire de trouver une synergie au niveau européen pour encadrer certaines questions concernant les données, l’algorithmisation, et la possession des données. Cela nous aiderait de manière très significative à contenir et limiter les pratiques qui vont à l’encontre des droits des travailleurs. Article précédent Article suivant Article précédent IA et action syndicale : les guides de la CFDT Cadres et de l’Ugict-CGT (France) Article suivant Expert dans des groupes de haut niveau sur l’IA au plan international : un retour d’expérience Ceci pourrait vous intéresser L’utilisation de l’IA en gestion des ressources humaines au Québec Au Québec, l’IA s’intègre progressivement en ressources humaines, surtout dans le recrutement, la formation et l’évaluation, même si 60 % des organisations n’en font pas encore usage. Son développemen... Québec La planification de la succession ... Secteur bancaire Quel portrait dressez-vous de l’industrie aérospatiale au Québec ? ... Québec Tout découvrir