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La gestion algorithmique et la surveillance électronique des salariés

Publié le 21/10/25

L'auteur

Xavier Parent-Rocheleau est Professeur adjoint, Département des ressources humaines, HEC Montréal.

L'auteur

Xavier Parent-Rocheleau est Professeur adjoint, Département des ressources humaines, HEC Montréal.

Il est question de gestion algorithmique ou de management algorithmique des salariés lorsque l’algorithme remplace le gestionnaire/employeur dans ses fonctions de planification, d’organisation et de contrôle du travail des salariés.

Ce phénomène est apparu avec les plateformes, notamment chez UBER dès 2015. Il s’est développé plus récemment, dans certains métiers comme la logistique, où dans les entrepôts les salariés sont gérés en bonne partie par des systèmes algorithmiques, ce qui peut conduire à une obligation plus ou moins formelle de disponibilité permanente.

L’actualité, les médias, nous rappellent certains cas qui méritent l’attention :

  • un grand groupe hôtelier a mis au point une IA dont la fonction est d’organiser le travail des personnels de chambre ;
  • chez un géant de la distribution, les horaires du personnel sont générés automatiquement ;
  • plusieurs centres d’appels utilisent des technologies de monitoring ;
  • dans l’industrie de la construction, une application de traçage permet aux employeurs de savoir exactement à quel moment l’employé commence son travail ;
  • en Chine, la filiale d’une entreprise spécialisée dans le matériel de bureau et l’optique demande aux employés de sourire devant une caméra pour leur ouvrir l’accès aux bureaux ;
  • Meta (Facebook) a eu recours à l’IA pour mettre en place un plan de restructuration de ses effectifs qui a engendré le départ de 60 personnes sélectionnées par un algorithme ; l’industrie du transport routier utilise l’IA à des fins de surveillance de la conduite et du comportement des chauffeurs. 

Les fonctions de la gestion algorithmique

Dans le secteur des centres d’appel, les systèmes de monitorage sont de plus en plus sophistiqués. L’IA mesure le stress dans la voix des clients chez les téléopérateurs en mesurant leur état émotionnel. L’opérateur reçoit des notifications sur son écran qui lui indiquent comment se comporter en faisant preuve de plus ou moins d’empathie selon la situation.

Le travail - quand on vous demande de changer constamment de ton et de comportement - constitue un facteur de stress puissant. Certains employés disent à l’inverse que ça les aide pour remplir leurs fonctions.

Dans le commerce de détail, des capteurs sont installés à même le sol pour avoir une représentation précise de l’achalandage dans chaque zone du magasin. Cela permet d’assigner les employés dans les zones les plus achalandées en temps réel. L’outil permet aussi d’établir les horaires des employés, basés sur des prédictions d’achalandage, en intégrant leurs performances (ventes). Les horaires sont par ailleurs automatiquement envoyés aux employés.

Pour l’employeur, ce système permet d’éviter les phénomènes de sous-effectif ou de sureffectif, mais pour les salariés, cela impose des horaires extrêmement fluctuants et incertains. 

Une multinationale spécialisée dans la livraison et la logistique est un autre exemple. L’algorithme permet d’optimiser les livraisons (120 livraisons/jour en moyenne), en calculant le trafic en temps réel, d’évaluer la conduite des chauffeurs, d’inspecter l’état du camion, de programmer les rendez-vous d’entretien… Les chauffeurs de cette compagnie au Québec sont syndiqués. Ils ont la possibilité de « contredire » le logiciel mais doivent en justifier la raison afin d’aider l’algorithme à s’améliorer. L’utilisation de l’outil n’a pas d’impact sur la rémunération des salariés.

Les conséquences pour les travailleurs

L’intégration de système d’IA dans les entreprises peut conduire à une dégradation des conditions de travail sous la forme de risques psychosociaux, d’une intensification du travail, d’une perte d’autonomie et de sens du travail ainsi qu’un risque de déshumanisation.

De manière générale, cette gestion algorithmique tend ainsi à précariser le travail.  Elle est associée à une extrême opacité. Ce n’est cependant pas une fatalité. Elle pourrait être appliquée de manière plus responsable, mais dans la plupart des cas d’usage que l’on rencontre actuellement, ce n’est pas le cas.

Les études de l’impact d’une gestion algorithmique sur le travail ne permettent toutefois pas une juste évaluation, puisqu’elles ne concernent en grande majorité que des plateformes. Des études complémentaires sont donc nécessaires pour mieux appréhender le sujet. 

Dans ce projet, le développement des compétences digitales et la compréhension de la donnée sont cruciales pour l’ensemble des salariés mais particulièrement pour les équipes ressources humaines. Des consultations sont organisées pour soumettre les projets d’utilisation des données. La cocréation des processus d’utilisation des données avec les salariés eux-mêmes reste un aspect fondamental.

La surveillance électronique des salariés

La gestion algorithmique ne peut pas fonctionner sans un nombre important de données. En matière de collecte de données, le phénomène de la surveillance électronique préoccupe beaucoup les chercheurs, notamment depuis le virage du télétravail que la pandémie a engendré et accéléré. 

Malgré des décennies d’études, quasiment aucun lien statistique n’a été établi entre la surveillance au travail, la performance et la productivité. La croyance selon laquelle la surveillance est nécessaire pour stimuler la productivité n’est donc aujourd’hui pas fondée. Ce qui a été prouvé en revanche, c’est le stress et le sentiment d’intrusion dans la vie privée que cela induit.

Le marché des outils de surveillance des travailleurs à distance est en pleine explosion. Paradoxalement, il est ainsi très difficile d’obtenir des données précises : il y aurait jusqu’à 32% des télétravailleurs qui s’estiment assujettis à une forme ou une autre de surveillance électronique. Le télétravail fait ainsi émerger une hausse de la demande et de l’offre des outils de contrôle aux noms éloquents[1].

Le besoin de surveillance avancé pour des questions de cybersécurité est compréhensible afin de garder une trace sur le partage et l’accès aux documents confidentiels. Mais il s’agit souvent d’une porte d’entrée pour introduire des formes plus discutables de surveillance électronique.

On peut distinguer différents types de surveillance et de moyens mis en œuvre :

  • la surveillance de l’activité en ligne des salariés (incluant les mails, les touches du clavier, les clics de souris, les fichiers ouverts ou téléchargés…) ;
  • le recueil d’informations biophysiques (capteurs de chaleurs placés sous les tables, géolocalisation…) ;
  • l’utilisation de la caméra pour la prise aléatoire de photos ou la captation en continu afin de s’assurer de la présence des collaborateurs devant leur écran.

Ces activités de surveillance soulèvent de nécessaires points de vigilance concernant en particulier :

  • l'intensification du travail ;
  • le musellement des équipes (que peut-on exprimer quand tout est surveillé, enregistré ?) ;
  • la marchandisation des données récoltées.
     

[1] « Activetrak », « Spytech », « Staffcop »…

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