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Le numérique dans l’industrie automobile

Publié le 21/10/25

L'auteur

Alexia Visca, de SECAFI groupe ALPHA, est animatrice du secteur automobile.

L'auteur

Alexia Visca, de SECAFI groupe ALPHA, est animatrice du secteur automobile.

Dans l’automobile, le numérique a un impact direct sur les coûts et les résultats des entreprises. Le cabinet SECAFI suit les deux constructeurs français, Renault et Stellantis, ainsi que des équipementiers automobiles de toutes tailles.

Quelle analyse peut-on mener à travers une vision transverse du secteur ?

Les années 2010 : l’usine du futur et l’industrie 4.0

Du point de vue de l’industrie automobile, l’intérêt de l’usine du futur est de produire des biens personnalisés en temps réel (pas de stocks) avec un coût identique à la production de masse. Telle est la promesse de de ce que l’on nomme l’Industrie 4.0, qui est déjà en place depuis les années 2010. Il s’agit d’une subtilité marketing : la personnalisation revient à choisir entre de nombreuses options et de produire au moment où on est sûr d’avoir un client final. L’idée est ainsi d’avoir une industrie suffisamment souple pour permettre de lancer l’ordre de production une fois que l’on a la commande du client final, ce qui est une petite révolution.

Auparavant, on produisait et on laissait aux concessionnaires la charge de vendre ce qui avait été produit. La logique a changé.  L’intérêt aujourd’hui pour le constructeur est de garder la main sur son prix. C’est important, car si vous fabriquez des produits sans vous occuper des attentes des clients, vous allez vous retrouver avec l’obligation de brader vos produits. L’intérêt est de pouvoir produire dans le même flux des véhicules différents.

L’usine du futur, en 3 mots, c’est :

  • la dématérialisation avec une fabrication programmée numériquement ;
  • une automatisation légère avec les « cobots » qui nécessitent une présence humaine et permettent aux équipes de garder la main sur les projets ;
  • le Big Data, qui permettant de collecter, stocker, et interpréter les données provenant des machines pour optimiser leurs performances et la maintenance.

Cette révolution industrielle étend son périmètre au-delà des constructeurs, puisqu’il faut que les partenaires et les fournisseurs aient accès à la data, au système d’information, pour s’adapter et vous fournir au moment où vous en avez besoin. Cette organisation qui nécessite beaucoup moins de stocks a notamment permis de libérer de l’espace dans les usines et d’accueillir les fournisseurs. Elle offre de nombreux bénéfices économiques, avec une optimisation des coûts : sur la fabrication (avec une économie possible de 10 à 20%), la partie logistique (entre 10 et 20% également), les stocks (entre 30 et 40%), la maintenance (entre 20 et 30%).

D’un point de vue des enjeux sociaux, on peut affirmer qu’avec l’usine du futur, il y a un risque sur l’emploi, notamment l’emploi non qualifié. L’automatisation conduit à une réduction de la main d’œuvre directe, mais nécessite souvent plus de main d’œuvre indirecte pour entretenir l’ensemble de l’automatisation. 

La demande d’hyper réactivité aux flux a des incidences sur l’organisation du travail. La prédominance des flux peut ainsi engendrer des risques : une perte de sens, la distanciation par rapport au réel, une déshumanisation du travail, une déresponsabilisation des salariés, la perte du contrôle de la charge mentale de travail.

Les années 2020 : le numérique dans les métiers de l’ingénierie

De très fortes ambitions portent sur la technologie du véhicule autonome. Les technologies de conduite autonome attisent la convoitise. De nouveaux acteurs apparaissent[1]. Ils s’appuient sur des partenariats industriels avec Magna ou plus récemment Foxconn, sous -traitant historique de l’électronique qui se diversifie dans l’automobile. Si les constructeurs traditionnels sont également prêts à mettre des ressources, des fabricants de semi -conducteurs, tels que Qualcomm, Nvidia et Intel Mobileye, se repositionnent aussi vers ce marché en croissance.

Le passage du véhicule thermique au véhicule électrique à l’horizon 2035 engendre une simplification du produit en lui-même en enlevant une barrière technologique très contraignante d’un point de vue du constructeur, à savoir les normes anti-pollution.

En même temps, on assiste à une complexification des usages du véhicule avec des mobilités partagées, connectées, des locations de véhicules entre particuliers, des abonnements de car sharing. Les enjeux de R&D se sont ainsi déplacés : ce n’est plus tant le moteur thermique qui va devenir la compétence clé pour les constructeurs mais d’autres activités. On constate à une évolution du modèle automobile où Data et Software au centre des stratégies des acteurs.

Aujourd’hui, nous sommes à près de 15% de la valeur du véhicule en logiciel. Demain, dans un véhicule autonome, nous serons certainement à 40% pour le logiciel et 20% pour le contenu. D’un point de vue du constructeur, la source de revenu va évoluer. Avant, je vendais mon véhicule. Demain, je vais toujours vendre mon véhicule mais je vais y adjoindre des abonnements, je vais récupérer les données pour les valoriser auprès de prestataires (par exemple, assurances…). J’ai l’ambition de changer mon modèle économique et de m’assurer une autre source de revenus. C’est important pour les constructeurs, car cette simplification qu’induit le véhicule électrique met en péril leur chiffre d’affaires.

Deux risques majeurs amènent donc les constructeurs à se focaliser vers d’autres activités :

  • l’électrique qui simplifie beaucoup la technologie des moteurs et qui fait venir de nouveaux acteurs à l’international (cf. La Chine[2]) ;
  • les évolutions liées à la mobilité. Le véhicule particulier n’est plus le vecteur de transport privilégié, et donc potentiellement, les constructeurs ne vont plus vendre autant de véhicules demain.

Les constructeurs doivent par conséquent créer un nouvel écosystème. Certains constructeurs ont affiché l’ambition d’internaliser les nouvelles compétences dont ils ont besoin. C’est le cas de Wolksvagen dont l’ambition affichée est d’embaucher 10 000 ingénieurs informatiques et produire 60% des logiciels d’une voiture. 

Renault a quant à lui opté pour des solutions externes. Le groupe a décidé d’acheter cette compétence en intégrant une offre globale déjà présente sur le marché, avec Google[3]et sa plateforme électronique pour les véhicules qu’il suffit d’installer dans la voiture (sur le principe du « plug and play »). Il s’est également associé à des partenaires, en créant la Software Republic hébergés au sein du Technocentre de Guyancourt (Dassault systèmes, STmicroelectronics et Thales).

Stellantis a fait le choix d’une solution mixte en annonçant notamment la création d’une direction du logiciel vise à assurer son indépendance sur un champ technologique jugé stratégique pour la création de valeur, tout en s’associant avec des géants du numérique pour l’aider à aller plus vite dans ses développements.

Le secteur automobile est en fait confronté à un enjeu double, une dépendance aux spécialistes du numérique mais également un manque d’attractivité pour les ingénieurs.  Les constructeurs nouent de nombreux partenariats avec les géants du numérique (Google, Amazon,…) faute de compétences directement disponibles en interne.

La filière s’engage dans des dispositifs de transformation des compétences et communique sur des embauches, non sans difficultés à recruter au sein des pays « historiques », à des conditions salariales automobiles. Cette tension est encore plus accrue pour les équipementiers, bénéficiant de moins de visibilité pour ces profils. Le risque est de voir « déplacer » le centre de compétences et à terme, affaiblir les ressources de la filière en France et en Europe

Les constructeurs tentent d’inverser la tendance en mettant en place différents leviers d’attractivité avec plus ou moins de réussite, comme des contrats de télétravail, par exemple. Le télétravail pendant la période COVID a permis aux constructeurs de mener des opérations immobilières en réaménageant leur siège social en fonction du ratio de temps de présence, réalisant ainsi d’importantes économies. Avec l’émergence d’une nouvelle organisation de travail hybride l’enjeu est notamment de trouver l’équilibre en distanciel et présentiel.
 

[1] Fisker Rivian Nio et Lucid Motors

[2] Par exemple, le géant chinois de l'électronique, Foxconn, a lancé une plateforme automobile grâce à laquelle il fournit aux constructeurs des solutions clé en main pour les véhicules électriques. Il fabrique aussi ses propres modèles.

[3] Google Cloud for Auto, Google Automotive Services et Android Automotive OS)

Les Années 2030 : des nouveaux champs d’activité grâce au numérique

La crise sanitaire et le durcissement des normes CAFE (qui régissent les émissions de CO2) en 2020, ont introduit des changements de priorités Ils ont décidé d’investir dans l’électrification des véhicules et ont mis en retrait le développement des véhicules autonomes et le questionnement sur la mobilité.

La technologie permet aujourd’hui (en 2022) d’avoir les mains libres dans les véhicules (niveau 2+). Dans une telle configuration, le conducteur peut ne plus toucher le volant mais reste néanmoins conscient et concentré sur la route. Cet objectif n’étant plus prioritaire en interne, les constructeurs ont mis en place des partenariats pour le développement de l’automatisation des véhicules. C’est le cas, par exemple, de Stellantis, qui s’est allié avec BMW pour travailler sur le niveau 3 c’est-à-dire les mains libres et les yeux fermés.

La Commission européenne a lancé le plan « Fit for 55 » le 14 juillet 2021 devant conduire à la fin des ventes de motorisations thermiques et hybrides en Europe pour les VP et VUL en 2035. Si les constructeurs vont devoir redoubler d’efforts dans les années à venir, ils n’ont pas attendu les décisions définitives pour prendre le virage électrique, faute d’autres alternatives technologiques accessibles à cette échéance. Les deux grands groupes français Renault et Stellantis, ont annoncé leur conversion au 100% électrique pour 2030.

Les développements liés au véhicule connecté, sont de deux natures en termes de logiciels et applicatifs :

  • les interactions « autonomes » avec le développement de la connectivité des véhicules entre eux et avec les infrastructures routières (afin de prévenir des obstacles qui se trouvent sur le chemin comme les accidents, etc…) ;
  • les interactions « conscientes » avec le développement d’applications pour les conducteurs et/ou les passagers, en profitant des opportunités ouvertes par les liaisons Car Cloud sur un marché qui ne demande qu’à croître.

Le véhicule électrique offre quant à lui des opportunités de créer de la valeur en exploitant la donnée du véhicule : intégration dans sa conception d’une nouvelle architecture permettant notamment la collecte de données et des mises à jour véhicules, ventes de nouveaux services rendus possibles par cette connectivité, valorisation de la donnée connectée pour l’externe (par exemple gestion du trafic) et pour l’interne (par exemple remontée de l’utilisation de telle option, meilleure connaissance client ).

Chez Stellantis, 20 milliards d’euros de revenus (chiffre d’affaires) sont prévus pour 2030 en matière de valorisation des data (sur un chiffre d’affaires actuel estimé à 300 milliards d’euros).

La transformation du secteur automobile avec le véhicule électrique va conduire à élargir son périmètre aux activités de mobilité et de data : contribuer à la gestion globale du réseau électrique grâce aux innovations « Smart Grid », à la gestion des infrastructures de recharge ou du recyclage des batteries.

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