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IA/Management algorithmique : un nouveau scénario

Publié le 21/10/25

L'auteur

Responsable du secteur « avenir du travail » au sein du comité directeur d'IG Metall, Detlef Gerst contribue à de nombreux travaux sur la transformation numérique des entreprises et l’accompagnement des représentants des travailleurs au sein des conseils d’entreprise (Betriebsrat).

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Responsable du secteur « avenir du travail » au sein du comité directeur d'IG Metall, Detlef Gerst contribue à de nombreux travaux sur la transformation numérique des entreprises et l’accompagnement des représentants des travailleurs au sein des conseils d’entreprise (Betriebsrat).

Le développement de l’IA dans l’industrie de la métallurgie et de l’électro technique en Allemagne

Pour évoquer la digitalisation de l’industrie, il faut se référer au concept de l’industrie 4.0 introduit en Allemagne en 2011. Sa vision portait une transformation rapide et fondamentale de l’industrie.

Avec du recul on s’aperçoit aujourd’hui que le développement est en relativement lent. L’innovation radicale n’a pas eu lieu. La digitalisation a principalement visé à améliorer des concepts de production existants, en donnant la priorité aux technologies de base appliquées à la surveillance du process industriel : techniques d’échange et de visualisation d’informations, commande de machine via des terminaux mobiles. Des innovations, sans pour autant être radicales, ont introduit des technologies de pointe : systèmes cyber physiques permettant une communication avec les machines, internet des objets, maintenance prédictive, automatisation de la logistique.

Si l’on examine le degré de maturité de l’industrie 4.0 dans l’industrie de transformation, le « groupe de tête » des entreprises utilisant l’ensemble des domaines technologiques n’a progressé que de 16 à 18% entre 2015 et 2018.

Si « les discussions autour de l’IA gagnent nettement du terrain » selon l’association numérique allemande BitKom, elle est surtout présente dans les grandes entreprises :  le pourcentage d’utilisateurs de l’IA augmente de pair avec la taille de l’entreprise. Plus de 30 % des entreprises de plus de 1000 salariés utilisent déjà l’IA. Dans l’industrie, elle est principalement employée dans les secteurs de haute technologie (électrotechnique, chimie/industrie pharmaceutique, génie mécanique).

En termes de perspectives, avec l’exemple des robots collaboratifs (cobots), l’IA favorise la digitalisation. Les cobots sont jusqu’à présent utilisés uniquement pour des tâches simples et peu contraignantes. Avec l’IA s’ouvre une nouvelle génération de robots qui apprennent à travailler avec des pièces mélangées et difficiles à saisir, avec de nouvelles pièces et s’orientent en tenant compte de la trajectoire des employés.

L’évaluation actuelle d’IG Metall

La proposition de définition large de l’IA par la Commission européenne est un avantage compte tenu de ses domaines d’application très variés dans l’industrie. 

Si elle repose sur l’apprentissage automatique, l’IA présente aussi une particularité par rapport aux précédentes technologies : une fois déployée, l’IA peut continuer à se développer. Elle peut aussi s’immiscer dans des sphères décisionnelles autrefois réservées aux êtres humains.

Dans le cadre de la codétermination, il est essentiel de prendre en compte le fait que son utilisation présente un risque lorsqu’elle sert à prendre des décisions dans le domaine de la gestion du personnel, de l’organisation du travail également avec des conséquences possibles en termes de santé ou de surveillance des salariés.

Si le management algorithmique et l’IA reposent toujours sur des logiciels et des méthodes statistiques, c’est son contexte d’utilisation qui est déterminant.

L’utilisation de l’IA est un facteur de compétitivité. Selon les experts de l’institut de recherche ZEW (Zentrum für Europäische Wirtschaftsforschung) de Mannheim, l’intelligence artificielle permet une hausse significative du chiffre d’affaires sur le marché des innovations, et dans les entreprises qui ont déployé l’IA, le taux d’emploi a augmenté de 4,6% entre 2016 et 2018.

L’IA permet donc de créer des produits et des services novateurs et constitue une base pour créer de l’emploi et de bonnes conditions de travail. Mais, dans le même temps on observe qu’il existe également des risques de discrimination, mais aussi en termes de conditions de travail :  perte d’autonomie, augmentation de la pression dans le travail et « stress technologique ».

L’IA peut remplacer le travail humain dans certaines tâches, par exemple dans le domaine de la production, le contrôle des marchandises à leur réception, le contrôle qualité par l’analyse de données de processus, la correction automatique des processus et des outils d’usinage.

Elle peut par ailleurs soutenir le travail humain avec des systèmes d’apprentissage, d’aide au diagnostic dans la gestion des processus, l’utilisation de jumeaux numériques, et le développement de la maintenance prédictive.

Si l’on ne craint pas un effet de mutation radicale du travail, l’évolution des métiers ouvre un nouveau défi pour la qualification et la formation des salariés.

Alors finalement, l’intelligence artificielle représente-t-elle un danger ? Pour reprendre les propos de Manuela Lenzen[1] :

  • attention à ne pas surévaluer « l’intelligence des technologies intelligentes », ne pas être trop confiant dans la technique et donc accepter de perdre des compétences ;
  • « L’être humain conserve le contrôle sur la technologie, mais ce contrôle est aux mains d’une petite élite ». Attention à l’hégémonie d’une poignée d’entreprises.

L’intelligence artificielle agit sur notre état d’esprit et notre comportement social, avec des conséquences en termes de communication, de manipulation, des problèmes de concentration en raison d’une avalanche d’informations. 

 

[1] Journaliste scientifique, auteure de l’ouvrage « Intelligence artificielle – ce qu’elle peut faire et ce qui nous attend », C.H. Beck (2018)

Les activités d’IG Metall

Le dialogue avec les décideurs politiques a abouti au niveau fédéral à la promulgation en juin 2021 de la loi de modernisation des conseils d’entreprise (Betriebsrätemodernisierungsgesetz) qui étend la codétermination à l’IA et son déploiement dans l’entreprise.

Il s’est également traduit par la mise en place de plateformes et de programmes de subvention : aide à la création de 25 centres de compétences 4.0 dans le cadre de la stratégie du gouvernement fédéral en matière d’IA, création de plateformes de développement stratégique : plateforme Industrie 4.0 et plateforme Lernende Systeme (systèmes d’apprentissage), observatoire de l’IA du BMAS[1], feuille de route de normalisation de l’intelligence artificielle, checklist pour prévoir la mise en place de l’IA, création également à l’initiative d’ IG Metall avec le soutien du ministère fédéral de l’économie du « fonds d’avenir de l’industrie automobile » (Zukunftsfonds Automobilindustrie)[2] dédié aux stratégies de transformation, de transfert de connaissances et de qualification dans ce secteur.

Dans le cadre de l’autonomie collective dite autonomie tarifaire des partenaires sociaux (Tarifautonomie), les accords salariaux d’avenir depuis 2021 prévoient une concertation obligatoire avec IG Metall avant d’entrer en négociation. Ils recommandent également un processus cible et la mise en place d’un comité de pilotage et d’orientation paritaire.

L’action d’IG Metall met l’entreprise au centre de la réflexion en constituant des « réseaux de transformation ». A travers l’accompagnement des acteurs, la formation professionnelle, il s’agit de faire participer davantage les travailleurs aux processus de « codétermination » (Mitbesttimmumg) [3]notamment en matière d’IA. Les conseils d’entreprise agissent en qualité de promoteurs de la transformation. Un bilan est programmé à l’occasion d’une journée syndicale en 2023.

  • Des projets d’IG Metall portent sur le renforcement de la politique du travail. Ils visent à soutenir la transformation des entreprises et renforcer la position des conseils d’entreprise dans cette transformation. Avec ces projets, les syndicats transmettent des compétences, élaborent des outils et des modèles de procédures, prodiguent des conseils et accompagnent les processus de concertation. IG Metall souhaite donner en la matière une nouvelle orientation : faire en sorte que les comités d’entreprises participent plus fortement au développement de la stratégie des entreprises et avoir une vue d’ensemble de tous les projets relatifs à l’IA.
     

[1] Ministère fédéral du Travail

[2] Appel à financement « Stratégies de transformation pour les régions dans l’industrie et la sous-traitance automobile » (juin 2021) 

[3] La codétermination au niveau de l’établissement a principalement pour objet d’influer sur des questions qui se posent aux travailleurs directement sur leur lieu de travail. Au niveau de l’entreprise, elle s’exerce au sein du conseil de surveillance dans lequel les représentants des salariés siègent à côté des représentants des actionnaires.

Les outils d’IG Metall

Trois types d’outils sont mis en place :

  • une carte des transformations, avec l’identification de tendances et l’évaluation de la stratégie d’entreprise ;
  • une carte d’entreprise, avec une estimation des conséquences des transformations et la mise en place de solutions à travers un processus participatif ;
  • une boussole de digitalisation, avec une évaluation de la stratégie de digitalisation et une estimation approfondie des conséquences.

Dans le cadre de l’enquête que nous avons menée en décembre 2019 auprès de 2057 conseils d’entreprise, 62% d’entre eux répondent être impliqués dans l’élaboration des projets de transformation numérique et leur mise en œuvre. Il reste du pain sur la planche !

L'utilisation de l’IA en Allemagne est encore limitée mais va s’accélérer. Il faut encore réguler les cadres de son utilisation. IG Metall concentre son action sur les entreprises.

Même si l’accompagnement des transformations que connaissent les entreprises requiert aujourd’hui des méthodes plus agiles en matière de codétermination, c’est grâce à ce mécanisme que le syndicat dispose d’une véritable force.

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