Réflexion collective (auditeurs) IA et big data, de nouveaux acteurs sur la scène du travail Publié le 21/10/25 Sommaire Le livreur-cartographe ou les effets (multiples) du traitement algorithmique des données sur le travail I – Le travail dans sa nature même est durablement et fortement transformé II – Face au risque de dépossession, le dialogue et la régulation sont plus nécessaires que jamais, de nouvelles « scènes d’interaction » sont à déployer III – Des choix de société urgents sont à faire à la croisée du dialogue social réinventé, de la préoccupation écologique et des enjeux de souveraineté Fermer Au départ de la réflexion concernant les effets de l’IA et du big data sur le travail et l’organisation des entreprises, quatre grandes tensions ont été considérées. Deux d’entre elles, à défaut d’avoir des réponses simples et partagées, sont des questions classiques : Les effets sur le travail : l’IA est-elle « capacitante » ou dévalorisante, permet-elle une libération des tâches sans valeur ou renforce-t-elle la subordination et la « dépossession » ? Les effets sur l’emploi : l’IA est-elle destructrice d’emplois ou conduit-elle à leur renouvellement ? Les auditeurs ont d’emblée insisté sur deux autres questions, jugées fondamentales et parfois négligées, notamment la première sur l’utilité : L’utilité : doit-on imaginer une pluralité de modèles avec un usage de l’IA différencié selon les secteurs ou bien l’IA est-elle inéluctable partout et pour tous et il faut s’y préparer ? Le rapport à l’éthique : doit-on privilégier les chartes et/ou la réglementation pour fixer des principes généraux et vérifier leur respect ou bien miser sur la délibération contextuelle lors de la conception, de la mise en place et de l’usage de l’IA ? Le livreur-cartographe ou les effets (multiples) du traitement algorithmique des données sur le travail Parler d’IA et de Big data, parler de traitement massif des données et de leur utilisation par le calcul algorithmique, c’est parler d’une question complexe parce que très englobante et encore émergente puisque son niveau de déploiement varie encore fortement selon les secteurs économiques. Aussi est-il nécessaire de préciser de quoi on parle. C’est à la fois un outil qui facilite la vie du livreur en lui indiquant le meilleur itinéraire, qui renforce sa productivité en évitant l’imprécision et l’hésitation propre à l’humain, qui donne un outil de contrôle à son manager qui le suit en temps réel et enfin, ce qu’on oublie trop, un outil de captation de données géographiques très utile pour actualiser les cartes ! Quand les livreurs de pizzas deviennent cartographes, en recueillant des données par les trajets qu’ils effectuent, le travail est transformé à l’insu des livreurs puisque sa valeur va tenir autant de l’exploitation des données que du service rendu. On peut parler de « dataïfication » du travail. Or le recueil de ces données n’est pas discuté et la valeur créée n’est pas partagée. Cet exemple emblématique montre l’ampleur du questionnement à prendre en compte, bien au-delà de l’automatisation des tâches transférées à une IA et au remplacement des personnes par des machines intelligentes. Ce sont bien le recueil et le traitement massif des données par des algorithmes qui viennent bousculer le travail : par des formes multiples d’hybridation du travail humain et du travail de la donnée entraînant l’entrée des industriels de la donnée sur la scène du travail aux côtés des acteurs traditionnels de l’organisation du travail et du dialogue social. par la nécessité en conséquence de nouvelles règles du jeu, de nouvelles articulations entre ces acteurs, partenaires habituels et nouveaux venus du traitement de données prescripteurs de facto de nouvelles organisations du travail. Le groupe des auditeurs de la 37ème Session Nationale a essayé de caractériser la nature de la transformation du travail à laquelle on est en train d’assister (I), d’en tirer des conséquences sur le dialogue social (II) et de voir, au-delà, l’interaction avec les enjeux sociétaux, environnementaux et territoriaux (III). I – Le travail dans sa nature même est durablement et fortement transformé 1 - Au cœur des transformations, la relation homme/machine et la relation managériale Le déploiement de l’usage des données massives et de l’intelligence artificielle dans l’entreprise affecte profondément le travail. La question de l’articulation homme/machine est à nouveau posée, à la fois problème et solution. Des questions nouvelles apparaissent comme celle des biais qui peuvent remettre en cause la pertinence des décisions algorithmiques fondées sur les grands nombres. La relation managériale est enfin particulièrement questionnée. On parle désormais de management algorithmique avec plus d’efficacité et d’objectivité pour gérer de grands effectifs, avec aussi les risques de déshumanisation de la décision et de surveillance généralisée. Y a-t-il capacitation et émancipation des salariés grâce à la libération des employés de tâches répétitives, sans intérêt grâce aussi à des aides à la décision documentées comme jamais auparavant ou bien assiste-t-on à une dépossession de l’autonomie dans la décision, à une surveillance constante qui oblige à se conformer étroitement au travail prescrit ? L’ambivalence de l’IA est reconnue par tous. Les expériences présentées par les intervenants (ou connues par les auditeurs) donnent à voir cette réalité multiple. Elle est d’autant plus contrastée que l’arrivée de l’IA est massive sans être générale puisque des secteurs semblent devoir rester à l’écart ; qu’elle est à la fois émergente et déjà bien installée même si elle l’est de manière peu visible (cf. les logiciels de gestion des RH qui intègrent des algorithmes pas toujours de façon explicite). La question de la substitution de l’homme/femme par la machine était jusqu’ici relativement binaire : le travail fait jusque-là par un opérateur était fait par la machine. En ne remplaçant plus seulement des « gestes professionnels » mais des compétences plus larges, qui touchent notamment à des domaines de réflexion que l’on jugeait proprement humains, elle change de nature. L’humain n’est pas remplacé mais augmenté/diminué selon la manière dont l’articulation homme/machine est mise en œuvre. Risques et opportunités sont également présents : Risque de déshumanisation des relations de travail, de déqualification (Alexia Visca dans l’industrie automobile), appauvrissement des interactions sociales, sentiments de déresponsabilisation et de perte d’autonomie, (pour l’instant l’IA est une « stagiaire » pour l’expert mais demain ? Simon Langlois) ; opportunité d’une expertise humaine outillée et recentrée sur la prise en compte de ce qui n’est pas calculable (historicité, jeux d’acteurs, empathie, créativité, finesse, sens du métier…) Risque d’appauvrissement intellectuel, de perte de savoirs humains (l’expertise confié à l’IA, perte de compétences « métiers » (par ex si le conducteur ne « conduit » plus, quelle est sa capacité à reprendre la main si cela s’avère nécessaire ?) (B Masson) ; opportunité pour recenser des savoirs en voie de disparition suite à des départs à la retraite par ex ou encore documenter des savoirs existants pour pallier un manque de connaissance des nouvelles recrues. Peut-on aller vers une réelle coopération homme-machine ? C’est toute la question des cobots – ces robots collaboratifs – encore en cours d’expérimentation et dont on ne sait pas encore s’ils seront réellement coopératifs. Une situation de travail réellement coopérative pour un couple travailleur-robot impliquerait une répartition et une gestion de tâches en interférence – potentiellement dynamique – entre robot et travailleur. La machine n’est plus une prothèse pour l’humain et l’humain n’est pas un simple fournisseur de données pour la machine. Si les expérimentations en cours débouchent, on pourrait avoir un véritable développement du pouvoir d’agir avec un travail plus épanouissant et préservant la santé humaine. 2 - les métiers sont bousculés et redéfinis avec des tensions sur l’emploi et la nécessité de repenser l’attractivité des métiers Parler des « métiers de l’AI » suppose de préciser de quoi on parle. Parle-t-on des micro-travailleurs de la donnée qui alimentent les bases de données ? Ils seraient 260 000 en France, selon le DiPLab (Télécom ParisTech et CNRS). Un travail précaire et répétitif, rémunéré à la pièce, pour libérer d’autres humains des tâches répétitives ! Parle-t-on des « macro-travailleurs », ces talents notamment rassemblés par l’écosystème construit à Montréal autour des meilleurs laboratoires d’intelligence artificielle ? Les tensions sur l’emploi sont nombreuses et pas toujours là où on les attendrait. 700 000 emplois pourraient être non pourvus dans les métiers du numérique à l’horizon 2025. Il y a effectivement des besoins importants de compétences numériques pour tous les métiers de la data (data analysts, data scientits, architectes big data, ingénieurs learning machine…) mais on observe aussi un besoin de « traducteurs » à même d’aider à comprendre les données pertinentes propres à un métier, une entreprise, une situation professionnelle. Avec le développement rapide de l’IA, l’obsolescence des compétences métiers se révèle particulièrement rapide : les cycles de métiers dureraient à peine 8 à 9 ans. D’où la nécessité de formation constante des salariés pour maintenir leur employabilité. La gestion prévisionnelle (GPEC) devient un enjeu majeur pour les partenaires sociaux. Des reconfigurations des formations sont en cours. On peut citer pour l’industrie automobile l’évolution du centre des métiers et des qualifications (CMQ) « Industrie du futur et numérique » qui intègre le projet Cymove de l’université de Haute Alsace (cybersécurité et mobilité) dans l’optique de la création de véhicules électriques autonomes. Le grand bousculement des métiers par l’IA dépasse évidemment le seul secteur des métiers du numérique, l’IA et le traitement massif des données s’invitent dans le travail de tous puisqu’ils servent avant tout à prendre des décisions plus rapides et mieux fondées dans tous les secteurs économiques où cette rationalité algorithmique peut avoir du sens. De nombreux métiers traditionnels sont donc, pour partie, reconfigurés par l’introduction du big data dans les organisations. Beaucoup d’observateurs redoutent le creusement d’un fossé entre le développement de « super salariés » en capacité de piloter les données et de salariés asservis aux données et aux machines (perte d’autonomie, diminution de la variété du contenu des tâches, renforcement de la surveillance. Cette coupure entre les bénéficiaires d’une « IA capacitante » et les perdants d’une « IA de la dépossession » ne donne qu’une vision limitée des transformations en cours, transformation ambivalente car encore inachevée. Une solution pour équiper le travail du Commissaire aux comptes montre l’ambivalence de la situation actuelle. A travers l’évolution d’un métier traditionnel comme celui de Commissaire aux comptes, se joue une transformation potentielle des organisations du travail où l’assistance apportée par l’IA ne serait que la première étape d’une potentielle captation de la compétence en vue de solutions plus ou moins automatisées. Il est donc important de porter l’attention sur l’analyse des usages, en quoi l’outil mis au service des Commissaires aux comptes tient bien ses promesses, en quoi il facilite ou entrave son travail. L’usage qu’en fait le commissaire contribue en effet à produire de la donnée comptable et à entraîner l’algorithme. Ce travail d’entraînement de la donnée reste invisible pour l’utilisateur. L’exploitation qui est faite de la valeur de ce travail échappe ainsi à son producteur… Le Commissaire aux comptes est placé dans la même situation que le livreur-cartographe. Cela montre le besoin d’ouvrir la boîte noire du traitement algorithmique pour rendre visible ce travail de la donnée et de se questionner sur la reconnaissance du « travail de la donnée » et ne pas en rester à la seule « valorisation des données ». Enfin cette omniprésence des données peut conduire également à une évolution positive, un déplacement des compétences les plus recherchées vers les registres créatifs et relationnels inaccessibles à l’IA : l’intelligence humaine du geste artisanal et de la création, l’empathie qui permet de créer des liens et des attitudes adaptées, en situation, au vécu des personnes… A terme c’est toute la hiérarchie des métiers dans les représentations qui risque d’être bouleversée. Quels seront les métiers les plus attractifs : ceux qui échapperont à l’IA en raison de l’expertise très intuitive, très liée au vivant et à son imprévisibilité ; ceux qui intégreront l’IA de façon créative dans une coopération homme/machine réinventée. II – Face au risque de dépossession, le dialogue et la régulation sont plus nécessaires que jamais, de nouvelles « scènes d’interaction » sont à déployer 1 - De nouvelles parties prenantes supposent de nouvelles scènes pour organiser les interactions Le dialogue social était jusqu’à maintenant un jeu à trois (représentants du patronat, représentants des salariés et pouvoirs publics) qui se jouait à plusieurs échelles, dans l’entreprise, les branches et aux niveaux national, européen et international. Avec l’arrivée du traitement massif des données, de nouveaux acteurs s’invitent très directement sur la scène. Ils sont parfois entrés très discrètement comme de simples fournisseurs de service informatique avec notamment de nouvelles fonctionnalités offertes par les logiciels de gestion RH (aides au recrutement, suivi de la formation, …). La plateformisation de secteurs entiers des services à la personne a donné une beaucoup plus grande visibilité à leur emprise sur le travail et a contribué à la prise de conscience que le jeu à trois changeait de nature avec l’irruption sur la scène des professionnels de la data. Le bouleversement des relations entre acteurs économiques et sociaux amène à se poser des questions inédites : Et si demain Renault devenait le sous-traitant de Google ? Cet exemple souligne comment les transitions écologiques (moteur électrique) et numérique (véhicule autonome – capteur de données) bousculent la chaîne de valeur. Le donneur d’ordre devient le sous-traitant. Les métiers se déplacent avec des implications qui ne sont pas neutres pour le travail et l’emploi. Si les industriels de la donnée prennent la main sur l’industrie de l’automobile, comment pourra-t-on accompagner ces évolutions ? Qui sera en mesure de négocier ? La notion de branche gardera-t-elle son sens ? cela supposera-t-il de revoir toute l’architecture institutionnelle (économique et sociale) du secteur ? Les questions sont vertigineuses. Beaucoup de professionnels de la data seraient volontiers restés dans la coulisse comme simples prestataires techniques au service de la performance de l’entreprise, avec comme seuls interlocuteurs leurs clients. L’Europe avec ses directives sur l’IA et les plateformes, ses projets de règlements sur les marchés et les services numériques, les juges avec leurs décisions concernant les plateformes (comme avec Deliveroo en Espagne) changent progressivement la donne. Même si les directives européennes, pour certains des auditeurs, laissent trop le social hors du cadre de leur régulation, elles posent les bases d’une responsabilité spécifique à l’Europe. Les juges quant à eux commencent à prendre des décisions encore disparates selon les Etats et pas toujours durablement inscrites dans la jurisprudence mais qui actent, en les requalifiant en employeurs, que les plateformes n’ont pas seulement des relations commerciales en proposant leurs services Les partenaires sociaux doivent eux-mêmes imaginer de nouvelles formes d’interactions pour éviter d’intervenir uniquement a posteriori dans la gestion des conséquences sociales du management algorithmique. L’Europe incite ainsi au co-design des usages de l’IA. On doit pour cela trouver de nouveaux espaces pour être associés dès l’amont à l’analyse de la pertinence des solutions proposées, à leur utilité pour l’entreprise comme pour les salariés. 2 - Préserver le sens du travail exige un questionnement de l’utilité en amont, une attention aux effets de l’IA sur le travail, le maintien d’une possible réversibilité L’opacité des algorithmes, véritable « boîte noire » du traitement massif des données n’est pas la seule question à se poser, on l’a vu tout au long de la session. Comment parvenir à s’interroger collectivement sur l’utilité même du recours au traitement massif des données quand il est présenté comme inéluctable ? Faut-il obtenir une « transparence » des algorithmes ? Faut-il plus modestement obtenir une clarification de leurs effets sur le travail en amont de la décision ? Comment former/outiller le entreprises et les syndicats pour qu’ils soient en mesure d’entrer en dialogue ? Quelles régulations faut-il prévoir ? Le choix de l’« IA de confiance » est-il suffisant ? Parmi les sujets qui doivent être discutés et régulés, le groupe des auditeurs a particulièrement insisté sur quelques questions jugées stratégiques. La première a été affirmée fortement dès le début de la Session Nationale : le questionnement préalable de l’utilité du traitement massif des données pour l’entreprise et, tout autant, pour le maintien de la qualité et du sens du travail. L’utilité ne peut exister pour l’entreprise si elle se fait au détriment des conditions de travail. Gagner en productivité, en suivi de la performance ne doit pas être obtenu en sacrifiant le sens du travail pour les salariés de l’entreprise. On a ainsi vu, dans le domaine de l’assurance, que l’automatisation ne pouvait être pertinente que si elle prenait bien en compte l’écart entre travail prescrit et travail réel, sinon une part essentielle du travail était invisibilisée. L’automatisation, si elle n’est pas pensée avec les collectifs de travail, est vue comme une simple substitution alors qu’elle entraîne nécessairement une recomposition des rôles. Il faut également veiller à ne pas perdre les savoirs identitaires au profit de données beaucoup plus nombreuses mais abstraites : un éleveur assisté par un robot de traite peut perdre la compréhension sensible de son troupeau ; une aide-soignante peut se voir imposer des protocoles l’obligeant à saisir des métriques sans pouvoir débattre de leur pertinence… Il est essentiel de concevoir de nouveaux agencements entre les règles de l’art, les règles de fonctionnement et les règles de droit. Pour cela il faut une formation des acteurs et des espaces de dialogue d’un nouveau type. En termes de formation, des initiatives syndicales ont permis une montée en compétence des équipes sur le sujet de l’IA. Deux guides ont ainsi vu le jour (CFDT Cadres, UGICT CGT). Avec ces outils, il est possible de mieux situer l’enjeu des discussions avec les employeurs pour ne pas en rester à une présentation technique de l’IA et évoquer l’impact sur le travail, avec un suivi permettant une amélioration continue des solutions imaginées initialement. Au Québec, une culture de partage et de réflexion permanente sur l’IA et le big data s’est développée au cœur de l’écosystème professionnel avec notamment l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA (OBVIA) qui aide, par des programmes de recherche appliquée, les entreprises et organisations à maximiser les retombées positives et à minimiser les effets négatifs de l’IA. En France aussi se développent des espaces de coopération permettant à des entreprises de taille intermédiaire d’accéder à des équipements pour simuler et concevoir leur passage à l’IA. C’est ce que propose notamment le SWARM, une entreprise à mission, en Auvergne Rhône-Alpes. Des démarches de « design social » commencent à émerger même si cela reste complexe à mettre en œuvre comme l’atteste l’expérience menée avec le CNAM et la CFDT au sein du groupe Renault (le projet était ouvert initialement à plus d’entreprises et de syndicats qui n’ont pas donné suite). Si la démarche n’est pas entièrement concluante, elle a néanmoins permis une facilitation de l’acceptation du changement, une vision partagée des risques et une explosion des interactions entre services hors des silos habituels. Au sein du groupe une modalité a été proposée pour mener cette démarche de co-design : celle d’« espaces tiers capacitants », pensés comme une modalité de négociation en « mode lab » par filière (automobile, santé, numérique prioritaires) impliquant la pluralité d’acteurs concernés par l’IA. Une démarche rapide, agile, avec des obligations de résultat et un pilotage de haut niveau (un haut-commissaire par filière). 3 - Le réencastrement de ces scènes de dialogue dans une éthique globale suppose un bon usage des chartes et réglementations (IA de confiance – IA responsable) Au début de la réflexion, il y avait deux sensibilités dans le groupe : ceux qui privilégiaient une approche bottom-up et ceux qui préconisait une régulation par la mise en place de règles communes, volontaires ou réglementaires. Un rapprochement peut-il s’opérer autour de l’idée de réencastrement de scènes de dialogue volontairement multiples (souplesse et pertinence) et celle d’une intégration dans une logique itérative. Rappelons les initiatives législatives de la Commission Von der Leyen (2019-2024) sur trois registres : mettre les technologies au service des personnes (Règlement IA, Directive Conditions de travail Plateformes), promouvoir une économie juste et compétitive (Règlement marchés contestables et équitables DMA), maintenir une société ouverte et démocratique (Règlement sur les services numériques DSA). Deux exemples d’avancées globales rendues possibles avec la Directive sur les conditions de travail des travailleurs de plateformes : la présomption réfragable de salariat avec cinq critères pour qu’une plateforme soit considérée comme employeur , dont deux suffisent ce qui permet le renversement de la charge de la preuve ; la transparence dans le cadre du management algorithmique : droit à la transparence dans l’usage et le fonctionnement du contrôle automatique et des systèmes de prise de décision avec le principe de contrôle humain. De son côté le règlement IA définit une pyramide des risques avec l’interdiction des usages présentant un risque inacceptable comme le scoring social ou la reconnaissance biométrique dans l’espace public, des procédures de conformité pour les usages à haut risque (risques santé et accès aux droits fondamentaux), des obligations d’information pour les usages à risque modéré (analyse des émotions, relation homme/machine) Si les auditeurs ont très largement reconnu l’intérêt de ces avancées européennes, ils ont néanmoins pointé l’extrême complexité de la législation européenne et certains ont craint qu’à la boîte noire des algorithmes on ajoute la « boîte noire de la régulation ». Les directives qui concernent le plus directement le travail comme celle sur l’IA ou les plateformes restent très difficiles à traduire au plan national ou sectoriel. Les accords-cadres internationaux restent souvent réservés à quelques très grandes multinationales. Enfin le constat est fait que l’échange entre experts du numérique et acteurs sociaux reste très limité, ce que traduisent les projets de directives DMA et DSA, plus sociétales que sociales. Plusieurs initiatives du monde économique ont défini les bases d’une IA de confiance (ou une IA responsable dans la déclaration de Montréal) en définissant des grands principes à respecter : l’intégration de l’humain dans la boucle, la robustesse, le respect de la vie privée, la transparence, la non-discrimination, la contribution au bien-être, la responsabilité à l’égard du traitement de données. Ce sont – ce seront – des points d’appui au développement des négociations sur les multiples « scènes de dialogue » évoquées au point précédent et les fondements de la jurisprudence en cas de conflits portés devant le juge. Définir le cadre d’une IA de confiance est le moyen de permettre l’adhésion au projet en affirmant une finalité humaniste de traitement massif des données. C’est la reconnaissance que l’IA a des conséquences sur l’individu, qu’elle peut être opaque et sujette à des biais (algorithmes et choix des données), que les systèmes sont de plus en plus autonomes. Pour cela il est nécessaire de prévoir des démarches de co-design impliquant les équipes de travail, d’assurer la transparence et de permettre une validation de la société dans son ensemble. III – Des choix de société urgents sont à faire à la croisée du dialogue social réinventé, de la préoccupation écologique et des enjeux de souveraineté Au sein du groupe des auditeurs, certains craignaient de s’engager sur des sujets pour lesquelsils manquaient de connaissances suffisantes et d’expériences probantes pour avoir un propos réellement argumenté. Néanmoins tous ont convenu qu’il était important d’ouvrir des questionnements qui pourraient être repris et développés dans une prochaine Session Nationale. 1 - La nécessité d’une IA sobre peut-elle contribuer à préserver le sens du travail ? Régulièrement au cours de la Session, a été évoquée la notion de Small Data en contrepoint du Big Data. A travers elle, c’était la question du déterminisme numérique qui était posée. Nous sommes amenés à recourir, sans questionnement préalable, aux solutions technologiques proposées par les industriels du secteur, solutions qui supposent toujours plus d’interconnexions, de traitement de données (5G, 6G, IoT, …). Or nous savons que le numérique n’est pas « virtuel » mais pleinement matériel : consommation croissante d’énergie, recours aux métaux rares, effets d’accélération sur le système économique (ultra fast fashion, démultiplication des livraisons instantanées, …). La sobriété s’impose dans tous les domaines de la vie collective avec le dérèglement climatique. Doit-elle – peut-elle – s’imposer dans le traitement des données ? Peut-on se passer des données massives pour prendre des décisions éclairées dans l’entreprise ? Peut-on envisager l’utilisation d’un volume de données plus limité avec des données suffisamment caractérisées pour aboutir à des décisions plus efficientes ? Si c’est le cas, on voit bien les effets possibles sur le travail : le recueil et le traitement des données deviendrait plus qualitatif que quantitatif. Il supposerait des compétences d’analyse humaine plus grandes pour déterminer les données pertinentes. Le modèle dominant du big data, par sa puissance et son attractivité rend difficile l’émergence de voies alternatives. Avec le risque du tout ou rien et à terme d’un rejet du traitement des données dans une approche radicale de l’écologie. Les trois règles de base de l’IA frugale sont simples ! Penser Intelligence Humaine avant de penser IA Penser data centric (chercher la qualité des données) plutôt que model centric (se centrer sur l’algorithme) Optimiser l’impact énergétique par quantization, élagage de la donnée Ce concept d’IA frugale commence à être porté par des acteurs économiques (EKIMETRICS, Data, Esteka…) 2 - La recherche d’une autonomie à l’égard des grands acteurs de la donnée massive peut-elle contribuer à une économie des communs, confortant les nouvelles scènes de dialogue territoriales ? La situation de crise (énergétique, climatique, géopolitique) crée des tensions sur les chaînes d’approvisionnement, met l’accent sur les enjeux de relocalisation et d’autonomie. Elle pourrait constituer une opportunité pour l’Europe de reprendre la main en développant une approche originale associant choix industriels visant la sobriété et l’autonomie et choix éthiques tracés dans les directives IA, DMA et DSA. Pour développer de nouvelles approches de l’usage des données, plus coopératives, plus ancrées dans leur territoire il serait utile de démultiplier les initiatives comme celle du centre d’innovation et de transformation SWAM en Auvergne Rhône-Alpes ou les réflexions conduites en Occitanie sur l’économie des communs. Vouloir sortir de la dépendance à l’égard des géants du traitement de la donnée ne devrait-il pas conduire à ne plus regarder le « traitement des données » indépendamment du travail qu’il vient bousculer ? L’attention portée aux données, à leur valeur, à leur propriété est certes nécessaire mais elle est loin d’être suffisante. Regarder les données « du point de vue du travail » conduit à mieux voir où le traitement des données massives est pertinent ou non, à mieux les gouverner, plus collectivement. La pluralisation des acteurs sur la scène du travail peut être une chance si nous savons inventer une nouvelle scénographie, une nouvelle gouvernance, qui ne se substitue pas à un dialogue, toujours compliqué, une hégémonie de la technique vue comme la solution indiscutable. Sans doute dialogue, sobriété et autonomie sont-ils indissociables pour réussir l’entrée en scène de l’IA et du big data. Partie précédente Article suivant Partie précédente L’écosystème de l’intelligence artificielle au Québec Article suivant Retour sur 18 mois d’exploration collective : quels moments clefs ? Ceci pourrait vous intéresser L’usage de l’IA dans la gendarmerie nationale L'usage de l’IA redéfinit les pratiques professionnelles en sécurité et en ressources humaines, en aidant à mieux anticiper, analyser et décider, tout en exigeant une compréhension fine de son mode de... Gendarmerie nationale L’utilisation de l’IA dans le domaine des ressources humaines : quels objectifs ? ... 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